Haïti : la boxe pour survivre à Cité Soleil, le plus grand bidonville de Port-au-Prince

Jakenson, 13 ans, s'entraînant à la boxe à Cite Soleil, Port-au-Prince, le 24 mars 2016.
Quatre sacs de frappe et quelques paires de gants au sol de la petite pièce sans électricité, une trentaine d'enfants qui s'échauffe dans la cour en béton : à Cité Soleil, en périphérie de Port-au-Prince, l'espoir de ces jeunes passe par la boxe. 
"On entraîne 200 enfants et c'est la vie de 200 enfants qu'on sauve" affirme Jean-Bernard Bélizaire tout en donnant des consignes au groupe de jeunes. "La vie est dure ici et s'ils ont envie de se battre, ils peuvent passer leur colère avec des gants de boxe plutôt qu'avec une arme dans la rue", explique-t-il. Natif de la commune la plus pauvre et la plus peuplée d'Haïti, il organise, chaque jour de la semaine, des entraînements sur cet espace d'une vingtaine de mètres carrés, sans vestiaires ni accès à l'eau. Un travail pour lequel ce jeune de 26 ans n'est pas payé.  
 

"Jamais un dollar"

"Jamais on ne nous donne un dollar pour nous soutenir, pour acheter de l'eau : on travaille avec notre courage seulement", témoigne Jean-Bernard surnommé Djaul. Dans le bidonville le plus grand de la Caraïbe, le nom d'Evens Pierre résonne et représente le rêve à atteindre pour les adolescents. Celui qui est né et a grandi entre les mêmes corridors insalubres qu'eux, compte aujourd'hui parmi les dix meilleurs boxeurs au monde. Et c'est au Panama qu'il vit et s'entraîne.
        
Car à Cité Soleil, l'action de l'Etat est maigre voire inexistante : malgré les promesses répétées à chaque rare visite des présidents qui se sont succédé ces vingt dernières années, le quartier n'a toujours aucun gymnase. Charles Elie n'a toujours connu que cette absence d'aide publique et, à 19 ans, il ne voit donc pas matière à s'en plaindre.
 
Djaul, 25 ans, boxeur amateur de Cité Soleil.

"Ici j'ai tout ce qu'il me faut. En Haïti, on n'a pas d'encadrement de l'Etat, la fédération nous aide autant qu'elle peut", confie ce jeune de la sélection nationale dans la chaleur de la petite salle. "Je m'entraîne à mon compte parce que j'en ai besoin, je veux être champion du monde, pour donner un héros à Cité Soleil". La fierté pour leur quartier à sombre réputation est la première motivation des jeunes boxeurs. "Cité Soleil m'a appris à vivre : en tant que ghetto, Cité Soleil m'a appris à partager. Il y a des gangs oui mais tout le monde n'est pas là-dedans", revendique Charles Elie.
        

Alternative aux réseaux criminels 

Offrir aux jeunes du bidonville une alternative aux réseaux criminels, c'est le crédo de Sainte-Agnès Maximilien. A 61 ans, cette femme qui a grandi dans le quartier s'est donné pour mission de sauver les enfants des rues. "Il y a une façon pour aborder un enfant des rues : je ne lui prends pas la main, je lui parle seulement et je l'invite à venir ici", raconte Sainte-Agnès. "Après, il vient avec un autre ami et c'est comme ça que ça fonctionne. Je préfère ça plutôt qu'ils meurent dans la rue", explique-t-elle, naturellement.
        
Jeunes de Cité Soleil à l'entraînement, le 22 mars 2016.

Car la précarité extrême de la vie à Cité Soleil amène beaucoup de jeunes à la délinquance. Le réalisateur Thomas Noreille qui, en 2014, a co-réalisé avec Yann Levy le documentaire "Soley" sur ces jeunes sportifs, ne connaît que trop bien cette réalité. "Certains d'entre eux oscillent toujours entre la boxe et les gangs. La tentation est là tout le temps évidemment :  quand on a rien à manger, avec des armes, on peut trouver de quoi se nourrir et de quoi nourrir sa famille", commente le réalisateur suisse qui vit en Haïti depuis plusieurs années. "J'ai une énorme admiration pour eux parce qu'ils ont une droiture. Malgré le fait qu'on les catalogue « Cité Soleil délinquants » ils sont beaucoup plus droits que la majorité des gens que je connais" assure Thomas Noreille.
        

Tué par balles 

Malheureusement, l'un des jeunes boxeurs présenté dans le documentaire a perdu son combat contre les trafics du ghetto : Blondy a été tué par balles à Cité Soleil avant la fin du tournage. "C'est une situation d'urgence. On a perdu Blondy, Djaul est en tangente actuellement : combien de temps il va pouvoir résister ?" s'interroge Thomas avec anxiété. "On attend toujours un gymnase. On ne dit pas que c'est la solution qui va régler tous les problèmes d'Haïti mais ça peut en tout cas vraiment sauver quelques vies".