Haïti en proie à des manifestations violentes, mutisme du pouvoir

Depuis cinq jours, Haïti est en proie aux tensions. Lundi, des barricades ont paralysé l'activité dans les villes principales, tandis que le pouvoir reste muet face aux revendications sociales scandées lors de manifestations parfois violentes.
La police avait fait état jeudi de la mort de deux personnes. Samedi, à Port-au-Prince, un adolescent de 14 ans a été tué par balle en marge d'un rassemblement. Une autre personne est morte dimanche à Jacmel (sud), selon les médias locaux.
    

Coups de feu et pillages

Les forces de l'ordre ont fait un large usage de grenades lacrymogènes pour disperser les centaines de jeunes issus des quartiers les plus pauvres qui ont défilé lundi sur l'une des principales artères de la capitale. Des coups de feu ont retenti dans les rues avoisinantes. Dans la confusion ambiante, des commerces ont été pillés. 
    
"Ce qu'on endure aujourd'hui c'est à cause du Jovenel (Moïse, le président haïtien)", a témoigné Joseph, dont le stock de boissons a été entièrement volé. "Je n'en voudrais jamais à ceux qui ont pris mes affaires: ils ont faim. En revendant ce qu'ils m'ont pris, ils vont pouvoir soulager un peu leur famille. On n'a pas de bons dirigeants: s'il y avait du travail dans le pays, ça ne serait pas arrivé", a-t-il ajouté.  

Tirs sporadiques

Les policiers ont également arrêté cinq jeunes à l'intérieur d'une banque. Dans l'après-midi, des tirs sporadiques résonnaient encore dans certains quartiers de la capitale. Face aux dégâts enregistrés depuis jeudi, les associations du secteur privé déplorent "une colère populaire légitime qui est malheureusement orientée à tort vers les entreprises qui créent des emplois" et souhaitent l'instauration d'un dialogue entre acteurs politiques. 

Les évêques catholiques en appellent également "à la conscience citoyenne des différentes parties en vue d'une décision patriotique", selon leur note de presse publiée lundi soir. Des blocages routiers ont été signalés dans plusieurs villes de province où des manifestations se sont déroulées lundi. Par peur des violences, une grande majorité d'écoles, de commerces et d'administrations sont restés fermés.  


Deux ans de mandat

Depuis la mobilisation nationale de l'opposition le 7 février, marquant les deux ans du mandat présidentiel de Jovenel Moïse, des manifestations spontanées de plus faible ampleur ont gagné les principaux centres urbains. Elles se sont accompagnées de barricades tenues par des jeunes rançonnant toute personne se risquant à traverser, d'incendies de véhicules, de dégradations de commerces, dans un climat d'intimidation qui a dominé dans la capitale Port-au-Prince.

 

Colère populaire

La colère populaire s'intensifie avec l'aggravation des difficultés économiques subies par la majorité pauvre. Face à l'inflation qui dépasse les 15% depuis deux ans, la première des revendications des manifestants est de pouvoir manger à leur faim.

    
Lors de la campagne électorale, Jovenel Moïse avait promis qu'il mettrait "à manger dans toutes les assiettes et de l'argent dans les poches". Des promesses non tenues. "Nous demandons à la police nationale d'arrêter Jovenel Moïse car il représente un danger et une menace pour la vie de chaque Haïtien", a déclaré lundi à l'AFP André Michel, une des principales figures de l'opposition. 

La frustration a été exacerbée par la publication, fin janvier, d'un rapport de la Cour supérieure des comptes sur la gestion calamiteuse et les possibles détournements des fonds prêtés depuis 2008 par le Venezuela à Haïti pour
financer son développement. 
 

Soupçons de corruption généralisée

Une quinzaine d'anciens ministres et hauts fonctionnaires sont épinglés. De même qu'une entreprise dirigée à l'époque par Jovenel Moïse, identifiée comme bénéficiaire de fonds pour un projet de construction d'une route sans signature de contrat. Face à cet audit, à la colère populaire et aux violences, le pouvoir exécutif s'enfonce dans un mutisme troublant. Seul le secrétaire d'Etat à la communication a publié une note de presse en créole via Twitter lundi matin.
"Le gouvernement reconnaît le droit de toute personne à manifester et exprimer ses droits selon la loi mais piller des magasins, bloquer la rue, brûler des pneus, briser les vitres des voitures et jeter de l'huile sur la chaussée n'entre pas
dans ce cadre", a écrit Eddy Jackson Alexis.
 

Plus grande crise depuis 2008 

Si le gouvernement n'offre aucune réponse concrète aux revendications, les groupes d'opposition n'avancent aucune mesure qui permettrait d'améliorer les conditions de vie de la population. "On est face à la plus grande crise depuis 2008", constate l'économiste haïtien Etzer Emile, en référence aux émeutes de la faim qui avaient à l'époque affecté le pays et l'Amérique centrale.