Troisième volet : Hubert Reeves, l’Outre-mer et les lobbys
La1ère.fr : Hubert Reeves, vous qui êtes un célèbre astrophysicien, qui vous intéressez à la biodiversité, avez-vous eu l’occasion de vous rendre Outre-mer, aux Antilles, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion, à Mayotte ou en Polynésie ?
Hubert Reeves : Oui à peu près partout pour enseigner. Je suis allée en Guyane, aux Antilles, à La Réunion, à Tahiti. Je ne me suis jamais rendu à Saint-Pierre et Miquelon.
Avez-vous l’impression qu’en France, on a conscience que 80% de la biodiversité française se trouve Outre-mer ?
Ce sont des choses que l’on commence à apprendre. Ces sujets n’étaient pas très présents dans les journaux il y a 50 ans ! Le mot écologie n’était pas très employé ! Heureusement grâce à toutes les conférences qui ont eu lieu comme celle de Rio en 1992, celle de Johannesburg et la COP21 l'an dernier à Paris, la situation a changé.
Ces conférences ne donnent pas de grands résultats, mais plutôt de petits résultats. Elles ont un effet très bénéfique en mettant dans le vocabulaire des mots qui n’y étaient pas. Par exemple, le mot écologie est arrivé après Rio. Le mot biodiversité après Copenhague. (NDLR : et le mot résilience après la Conférence de Paris)
Et on a parlé beaucoup d’océan et d’îles cette fois à la conférence climat de Paris. Avez-vous des souvenirs de biodiversité Outre-mer, de nature lors de vos voyages en Guyane, aux Antilles ou à La Réunion ?
Oui c’est toujours tragique, toujours triste quand vous arrivez dans une région où l’on vous dit : "il y a trente ans c’était une région magnifique avec des plantes et maintenant, il y a des centres commerciaux et des parkings". A La Réunion et aux Antilles, c’est très présent.
J’ai aussi été frappé par les problèmes qu’ont les Antillais avec ces pesticides (NDLR chlordécone) qui affectent la santé des gens. Quand on est sur place, on en entend beaucoup parler. C’est très présent dans la vie des Antillais.
Vous êtes président de l’association Humanité et Biodiversité, cette association est-elle présente Outre-mer ?
Oui tout à fait. Nous avons eu des actions très bénéfiques. Il y a plusieurs années, une compagnie minière demandait au président Sarkozy de s’installer en Guyane. Or on sait que l’extraction d’or est très nocive. C’est une activité qui utilise du mercure et du cyanure. Nous avons fait valoir à Nicolas Sarkozy que si dans l’hexagone quelqu'un avait voulu installer une mine avec du mercure et du cyanure, il y aurait eu la révolution ! Nous lui avons dit qu’il avait la même responsabilité envers les Guyanais que les Hexagonaux. Et bien, il a refusé d’accorder une licence à ce projet, et c’est une action que nous avons réussie.
On a vu lors de la discussion de la loi biodiversité que certains lobbys étaient très actifs pour ne pas préserver la nature. Est-ce que vous pensez qu’en France, les lobbys sont à l’œuvre ?
Ah oui, les lobbys sont super actifs. C’est l’un de nos rôles, nous dans l’association, nous sommes un lobby en faveur de la biodiversité. Mais il y a des groupes de pression qui vont défendre le pétrole ou les pesticides. Il faut donc aujourd’hui qu’il y ait plus de gens qui défendent la biodiversité que ces multinationales.
C’est un peu David contre Goliath…
Ca c’est vrai ! Mais ce n’est pas une raison pour ne pas continuer.
Il y a un lobby qui est très puissant c’est le lobby des pesticides. On l’a vu aux Antilles avec le scandale du chlordécone banni en 1976 aux Etats-Unis, classé cancérogène possible en 1979, et utilisé dans les champs de bananes jusqu’en 1993 aussi bien en Martinique qu’en Guadeloupe. Est-ce que vous avez suivi ce dossier ?
Bon je l’ai suivi de loin. Je suis au courant de ces questions. Cela fait partie d’un comportement de l’humanité qui s’appelle le profit avec lequel il faut négocier. Et ça c’est présent partout. Nous l’avons en ce moment au niveau européen avec la compagnie Bayer qui défend becs et ongles l’utilisation des pesticides.
La loi biodiversité prévoit d’interdire les néocotinoïdes. C’est une molécule très mauvaise pour les abeilles et pour les hommes. Des études montrent que les paysans qui répandaient ces produits dans les champs ont eu des maladies graves liées à ces molécules. Il faut réduire au maximum les pesticides. Evidemment, ce n’est pas l’avis des compagnies qui les fabriquent. C’est normal, c’est humain.
Ecoutez ci-dessous Hubert Reeves au sujet des pesticides et du fameux PFH :
Vous savez comment cela s’appelle au Québec ça ? C’est le PFH, "le putain de facteur humain", c'est-à-dire le profit. Pour faire du profit, ils sont prêts à mettre les populations en danger. Il faut s’y opposer.