Droit du sol limité, titres de séjour valables uniquement sur le territoire, délais réduits pour déposer une demande d'asile... Les exceptions au droit des étrangers sont nombreuses à Mayotte. Un rapport parlementaire préconise de faire le chemin inverse. La députée de Mayotte, Estelle Youssouffa, et le député de Corse, Laurent Marcangeli, proposent de faire appliquer sur l'île certaines règles déjà en vigueur ailleurs en France depuis des années.
Mayotte fait face à une véritable crise migratoire : le système de santé, tout comme le système éducatif, est débordé, et les infrastructures, pensées pour une population moins nombreuses, sont saturées.
Mieux répartir les mineurs isolés, supprimer les titres de séjours territorialisés
Estelle Youssouffa et Laurent Marcangeli demandent l'extension à Mayotte de la circulaire dite Taubira. Ce texte, qui prévoit de répartir les mineurs isolés sur l'ensemble du territoire national pour soulager les services d'aide à l'enfance saturés, ne concerne pas les territoires d'Outre-mer. "Contrairement à la norme hexagonale, les familles d’accueil mahoraises reçoivent jusqu’à dix enfants alors que la limite légale est fixée à trois enfants par foyer", pointe le rapport des parlementaires, précisant qu'on estime à 6 600 le nombre de "mineurs en risque majeur de désocialisation" à Mayotte.
Autre proposition des parlementaires : étendre l'aide médicale de l'État (AME) à l'île. L'AME est un dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière de se soigner, en couvrant leurs frais médicaux. Mayotte est le seul département français où elle n'existe pas. Inclure l'île dans le dispositif "permettrait de séparer la dépense des soins des étrangers" du "budget dévolu aux assurés sociaux", précise Estelle Youssouffa, qui ajoute que près de 50% des séjours au centre hospitalier de Mayotte concernent "des personnes non affiliées à la sécurité sociale, c'est-à-dire des étrangers en situation irrégulière". Ce chiffre grimpe à "plus de 90%" pour les services de protection maternelle et infantile.
À Mayotte, les titres de séjour et la plupart des visas accordés aux étrangers sont territorialisés, c'est-à-dire qu'ils ne sont valables que sur l'île. Pour se rendre dans l'Hexagone, à La Réunion ou dans n'importe quel pays européen, les étrangers, pourtant détenteurs d'un titre de séjour en règle, doivent demander un visa. "Ces restrictions ont pour effet de fixer indéfiniment la population migrante dans notre île de 375km2", dénonce Estelle Youssouffa, qui demande leur suppression. À noter que ces restrictions font l'unanimité contre elles : de leur côté, les associations de défense des droits des étrangers dénoncent des mesures faisant de l'île une prison à ciel ouvert.
Appel à la solidarité européenne
En commission parlementaire, Estelle Youssouffa a longuement insisté sur "la procédure bien huilée" qui permet le transfert des migrants de l'île italienne de Lampedusa -la première porte d'entrée des migrants en Europe- vers la Sicile ou le continent. Le déplacement se fait "en quelques heures" grâce à la mise en place de deux ferrys par jour, selon la députée de Mayotte.
Sans faire partie de l'espace Schengen, Mayotte a acquis en 2014 le statut de "région ultrapériphérique de l’Union européenne". La frontière entre Mayotte et les Comores est donc une frontière de l'Union européenne. Pourtant, Estelle Youssouffa déplore le manque de coopération internationale autour du cas mahorais.
En regardant ce qui a été fait en Italie et en Grèce, on ne peut que constater que Mayotte n’a pas bénéficié de la même solidarité de la part de l’État et de l’Europe. Elle est pourtant, elle aussi, en première ligne face aux flux migratoires massifs.
Estelle Youssouffa
"Il est pour nous incompréhensible que Frontex [l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, ndlr] soit déployée aux frontières sénégalaises ou mauritaniennes, mais ne soit pas déployée à Mayotte", s'agace la députée.
"Bombe à retardement"
Le rapport qualifie la situation migratoire à Mayotte de "bombe à retardement". "On estime qu’une centaine de migrants arrive quotidiennement à Mayotte", indique Estelle Youssouffa, qui ajoute que "la population a été multipliée par quatre entre 1985 et 2020". Sur l'île, près d'une personne sur deux est étrangère et environ 25 000 reconduites à la frontière ont eu lieu en 2022. "Les premiers mois de 2023 montrent que les flux à destination du territoire mahorais continuent d’augmenter", pointent les auteurs du rapport.
Dans l'immense majorité des cas -96%- les personnes interceptées alors qu'elles tentent d'entrer illégalement à Mayotte sont comoriennes. Mais depuis quelques années se développe "une nouvelle immigration, originaire du continent africain, essentiellement de la région des Grands Lacs". Il s'agit notamment de migrants originaires du continent africain qui embarquent depuis la Tanzanie pour les Comores, avant de rejoindre Mayotte en kwassas, ces bateaux à fond plat utilisés par les passeurs.
Depuis le 24 avril dernier, le gouvernement français mène à Mayotte une opération visant à expulser les étrangers en situation irrégulière et à détruire des bidonvilles de l'île. Des centaines de policiers et de gendarmes sont mobilisés. Baptisée Wuambushu, l'opération a été freinée par des recours juridiques puis bloquée après une brouille diplomatique avec les Comores, qui revendiquent leur souveraineté sur Mayotte, avant d'être relancée le 22 mai.