Avec un nom comme Lacaze, Julien était prédestiné à exceller sur Excel. Cet ingénieur de 38 ans, installé à Saint-Paul, à La Réunion, forme des étudiants de Bac+3 à Bac+5 en apprentissage à la logistique, la gestion de production et à des outils... comme Excel. Il est également consultant pour des sociétés où il analyse des données et est chef de projet. Là encore, le tableur de Microsoft est au cœur de son travail.
C'est donc sans surprise que le formateur attentif a découvert l'existence du Championnat du monde de Microsoft Excel (Microsoft Excel World Championship en anglais) en 2022 par les réseaux sociaux. "Je m'y suis tout de suite intéressé, je me suis dit 'quel est leur niveau [des concurrents, NDLR] par rapport au mien ?', se souvient-il. Effectivement, il y en a certains qui sont très, très forts. Par contre, ceux qui étaient moins bons, je me sentais largement au niveau, donc je me suis inscrit."
Sur la seule épreuve qualificative l'an dernier, il termine 18e dans la région Asie-Pacifique, qui comprend La Réunion. Un très bon résultat, mais insuffisant, car seuls les 17 premiers de la zone sont sélectionnés.
"Fierté" d'aller sous les couleurs de La Réunion
Julien Lacaze a donc retenté sa chance cette année. Cette fois, les modalités de qualifications ont changé et il réussit à faire partie des 128 finalistes, non pas comme Français, mais comme Réunionnais ! Regardez le drapeau ci-dessous :
"J'étais très fier de dire que je vivais à La Réunion. J'aime beaucoup l'île et pour moi c'est une fierté, même si je ne suis pas natif, d'aller sous ces couleurs-là", assure Julien Lacaze, fortement soutenu par sa famille et ses étudiants.
Né à Dax (Landes), il a étudié et travaillé à Montpellier, Châlons-en-Champagne ou encore Paris, avant de partir s'installer sur l'île en 2014 avec sa femme. "On s'y est plu et on s'est mariés ici, on a eu nos deux enfants ici", retrace-t-il.
La seconde raison de s'inscrire comme Réunionnais est pratique, car elle concerne les heures des battles, des affrontements entre les joueurs. Les qualifications se déroulant en ligne tout autour du globe, l'organisateur ne pouvait pas mettre une épreuve unique se déroulant à midi à Paris et minuit à Tahiti. Il a donc planifié différents rounds selon les zones Afrique, Asie-Pacifique, Europe, etc. Vivant à La Réunion, c'était donc plus pratique pour Julien de s'inscrire sur le créneau correspondant, dans la région Asie-Pacifique.
L'île aux ours
Alors certes, résoudre des problèmes sur le fameux tableur de Microsoft, que ce soit à La Réunion ou dans l'Hexagone, n'est pas très vendeur a priori. L'entreprise lettone AG Capital qui a lancé le championnat en 2021, l'avait bien compris, et a ajouté les codes de l'e-sport, comme le montre la vidéo de présentation ci-dessus, et des univers de jeux vidéos assez amusants pour offrir une expérience plus ludique et compétitive.
L'épreuve loufoque préférée de Julien a par exemple été l'île aux ours : "On gérait une entreprise qui vendait des paniers de pique-nique sur une île où il y avait des ours, et on avait un deal avec les ours : c'est que si les campeurs allaient pique-niquer dans la zone d'influence d'un ours, l'ours nous ramenait le panier en échange d'une friandise, présente-t-il. Il fallait analyser sur la carte où est-ce que les gens allaient, si c'était dans la zone d'influence d'un ours, quel type d'ours c'était parce qu'il y a plusieurs types d'ours, quelle était la marge théorique..."
Comme il s'agit d'une compétition, les concurrents n'ont pas tout leur temps. Sur le thème de l'île aux ours par exemple, ils doivent résoudre cinq exercices consécutifs, avec une difficulté croissante quand on passe au problème suivant. "Grosso modo pour tout le monde, le niveau 1 est accessible", assure Julien. La différence est le temps : les meilleurs mettent "une à deux minutes à le résoudre, des fois moins".
3.000 dollars à gagner
La gestion du temps est d'ailleurs un des aspects cruciaux de la compétition, sachant qu'il y a également des questions bonus pour engranger des points. Le but est donc de trouver la ou les formules les plus efficaces pour résoudre tous les exercices dans le temps imparti, en glanant le maximum de points possibles.
Plus de 550 participants se sont inscrits à travers le monde pour cette 3e édition de la compétition, encore peu connue du grand public. Surtout, chacun peut avoir sa chance : "Il y a tellement de petits détails qu'il faut maîtriser que le classement n'est jamais vraiment figé. Même les meilleurs peuvent se planter à un moment", prévient le Réunionnais.
Les 128 joueurs qualifiés vont désormais s'affronter en ligne, en face à face, à partir du 28 octobre. Le tirage au sort a mis Julien Lacaze face à un Thaïlandais.
À chaque duel, la moitié des participants sera éliminée, l'autre moitié passera à l'étape suivante jusqu'à la grande finale entre les huit derniers concurrents le 9 décembre, en présentiel à Las Vegas. Ils remporteront un prix allant de 500 $ pour les quarts de finalistes à 3.000 $ pour le grand gagnant.
Call of Duty vs Excel
Le rêve de l'ingénieur est d'aller là-bas, mais il sait bien que l'essentiel est ailleurs. Si cela reste pour lui "un jeu" qu'il fait avec "plaisir" sur le plan personnel, il a vu la différence sur le plan professionnel : "Clairement, ça m'a remis un gros boost sur mon niveau d'Excel qui était déjà haut à l'époque, assure-t-il. Ça m'a vraiment permis de progresser énormément sur Excel, [...] de gagner en compétences, en vitesse."
Le championnat lui a aussi permis "de rencontrer des gens qui sont aussi de très bon niveau avec qui on peut s'échanger des choses". Citant le champion du monde de modélisation financière, il résume ainsi tout l'intérêt de la compétition, considérée aujourd'hui comme du e-sport :
Si vous vous entraînez pendant deux ans à "Call of Duty", et qu'au bout de deux ans vous ne percez pas, à la fin il ne vous reste rien. Si vous vous entraînez pendant deux ans pour faire le Microsoft Excel World Cup, et qu'au bout de deux ans vous n'avez pas percé, vous avez appris Excel et ça, vous pouvez le vendre dans toutes les boîtes du monde.