Journée internationale de la langue et de la culture créoles : la génèse des différents créoles du monde

Journée internationale de la langue et de la culture créoles.
Ce 28 octobre marque la journée mondiale du créole. Pas seulement du créole particulier d’une région, mais de tous les créoles de la planète. Sait-on ce qu'est un créole ? Ou plutôt ce que sont les créoles (et les pidgins dont ils sont issus) ? Ces langues sont nombreuses et réparties sur tous les continents, sauf en Europe.

Un Réunionnais parlant dans son créole, un Guyanais de l’Ouest s’exprimant en aluku, et un habitant du Cap-Vert faisant de même en capverdien, auraient bien du mal à se comprendre les uns les autres. La langue du premier s'apparente au français, celle du second à l'anglais, et celle du troisième au portugais. Pourtant, elles ont un point commun : ce sont toutes les trois des créoles.

Les créoles sont nés au XVe siècle. Ce sont des langues mixtes constituées généralement à partir de celle d'une population dominante, dans la majorité des cas, européenne. Nicolas Quint, linguiste, directeur de recherches au CNRS (laboratoire Langage, Langues et Cultures d'Afrique) détaille les plus connues : "Souvent, c'est le français, l'anglais, le portugais, l'espagnol, le néerlandais, l'arabe…"

Cette langue fournit l'essentiel du lexique, c'est-à-dire du vocabulaire. S'y ajoutent des langues dites de substrat, celles des populations dominées, africaines ou autres.

Avant le créole, le pidgin

Habituellement, un créole est d'abord un pidgin.

La différence entre créole et pidgin, c'est que le pidgin est une langue mixte non maternelle et que le créole est une langue mixte maternelle. Et très souvent, un ancien pidgin devient un créole lorsqu'il devient la langue maternelle d'une communauté.

Nicolas Quint, linguiste, directeur de recherches au CNRS

Contrairement à la plupart des autres langues, comme par exemple le français, les créoles ont été qualifiés de "langues éruptives". Elles sont apparues rapidement, en à peine une ou deux générations, souvent en lien avec l'esclavage. Corinne Mencé-Caster, professeure de linguistique ibéro-romane et créole (Sorbonne Université) explique cette vitesse : "On parle de créole de plantation qui a surgi des besoins urgents de communication au sein de la plantation, entre des locuteurs qui ne parlaient pas la même langue."

Une proximité plus ou moins grande avec les langues d’origine 

Ces créoles dits de plantation sont surtout parlés dans des îles comme La Réunion ou les Antilles. Ils sont très proches des langues européennes, par exemple du français (langue d’oïl) de certaines régions, comme l’indique la linguiste dans un exemple : "Il y a des liens très forts entre les créoles antillais et ces dialectes d'oïl, notamment ceux de Normandie."

Autres créoles très proches des langues européennes, les créoles commerciaux, par exemple indo-portugais, comme le signale Nicolas Quint : "Ce n’étaient pas des créoles insulaires. Ce n’étaient pas des communautés qui se sont évadées. Ces langues se sont formées parce qu'il y a eu des communautés métisses qui se sont formées qui ont servi finalement d'interfaces entre les navigateurs, alors généralement européens dans le cas dont on parle, et les populations locales."

Enfin, il y a des créoles dits marrons, pratiqués par des communautés d'esclaves échappés très tôt. C'est le cas des créoles bushinenges de Guyane et du Surinam à base lexicale généralement anglaise comme l'aluku ou le ndjuka. Le chercheur met en avant leur particularité : "Là, par contre, on a un pourcentage de lexique non européen bien supérieur, essentiellement des langues africaines."

L'influence des langues de substrat africaines, entre autres sur les créoles, est actuellement réévaluée particulièrement en ce qui concerne leur grammaire. Et ce n’est pas tout, comme le montre cet exemple : dans les langues ibéro-romanes, comme le portugais, il n’y a que deux formules de salutation, de jour, en fonction de l’horaire. Mais en créole casamançais, pourtant basé sur le portugais, il y en a trois. Cela correspond à un découpage de la journée assez courant dans plusieurs langues mandingues de cette partie de l’Afrique. Toujours en matière de salutations, on pourrait aussi mettre en évidence l’empreinte du wolof sur le créole capverdien. Pour Nicolas Quint, là encore, "comme dans beaucoup d’autres cas, l’usage créole reflète celui des langues africaines qui ont contribué à la genèse des créoles".

Les langues africaines négligées

Certains déplorent que ce poids des langues africaines ait été négligé dans le passé. Corinne Mencé-Caster y voit une marque idéologique et regrette que "la plupart des créolistes connaissent uniquement les langues d’origine européennes". Cela aurait conduit dans le passé à n’envisager les créoles que comme des "formes abâtardies" de ces langues. À ses yeux, il serait urgent que davantage de spécialistes des langues africaines se penchent sur les créoles afin de voir s’ils y reconnaissent des éléments venant de leurs langues.

Même débat à connotation idéologique sur l'évolution récente encore peu étudiée de certains créoles, au contact des langues dites de prestige comme le français. Exemple avec le créole martiniquais expliqué par l’universitaire : "Pour dire 'il est plus grand que moi', je vais dire 'I gran pase mwen'. Et maintenant, on va entendre 'I pli gran que mwen'. Ça veut dire qu'on calque la syntaxe française sur le créole."

Certains crient à la décréolisation. D’autres sont plus prudents, car les langues ne sont pas figées. D’autant que la réciproque est vraie : comme Corinne Mencé-Caster le rappelle, le français des Antilles est souvent "calqué sur le créole".

Si je dis (que) "ma maman est derrière moi" en français des Antilles, je ne veux absolument pas dire que ma maman est située là (physiquement derrière moi). Mais je veux dire simplement que ma maman me harcèle.

Corinne Mencé-Caster, professeure de linguistique ibéro-romane et créole à Sorbonne Université


Des dizaines de millions de locuteurs dans le monde

Les créoles et les pidgins sont donc des langues vivantes qui évoluent et continuent d'interagir avec les autres. Bien qu'ils soient peu reconnus officiellement, on en dénombre actuellement plus d'une centaine dans le monde sur tous les continents, à part l’Europe. Selon des sources, il y en aurait 35 à base lexicale anglaise, 15 à base française, 14 à base portugaise… Ils comptent des dizaines de millions de locuteurs.

Retrouvez le reportage de Bruno Sat :

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