Journée mondiale de l’eau : quand la bataille pour les rivières se fait judiciaire

Le fleuve Maroni
Des ONG se battent pour faire reconnaître les droits des fleuves et des rivières. Un recours a été déposé en Guyane pour faire du fleuve Maroni un sujet de droit. Entretien.

En janvier dernier, l’ONG Wild Legal a déposé devant le tribunal administratif de Cayenne un recours contre l’État français pour faire reconnaître les droits du fleuve Maroni. À l’international, de telles initiatives ont déjà abouti. Depuis 2017, le fleuve Whanganui, en Nouvelle-Zélande, est un sujet de droit. Il dispose de tuteurs légaux pour le représenter. En Colombie, le fleuve Atrato a, lui aussi, une existence juridique : l'État doit respecter ses droits fondamentaux.

À l’occasion de Journée mondiale de l'eau, Marine Calmet, la présidente de l’association Wild Legal, répond à nos questions.

 

Pourquoi chercher à faire d’un fleuve, en l’occurrence le Maroni, un sujet de droit ?

Aujourd'hui en France, aucun écosystème, ni rivière, ni forêt, ni montagne, n'a de droits. La nature n'est qu'un ensemble d'objets, de ressources. Nous avons construit un modèle juridique qui valide cette relation utilitariste à la nature, ce qui n'est pas le cas dans beaucoup d'autres pays du monde, où des gouvernements, des collectivités, des élus, des représentants du peuple et des ONG s'organisent pour faire reconnaître les droits fondamentaux de la nature.

Nous travaillons depuis des années avec des ONG guyanaises pour faire respecter les droits du fleuve Maroni, parce que le fleuve Maroni, c'est ce que disent les scientifiques, est en train de mourir. En Guyane, il y a 10 000 orpailleurs clandestins qui cherchent de l'or dans la forêt. Le fleuve est pollué par le mercure, qui est l’un des produits utilisés pour extraire l'or. L’intégrité du fleuve est en danger. Nous avons déposé en janvier 2024 un recours contre l'État français pour faire valoir qu’il est responsable de la protection des droits des populations guyanaises, mais aussi des droits du fleuve en lui-même.

Il est de la responsabilité de l'État de protéger son territoire, territoire auquel appartiennent évidemment ses rivières et ses fleuves. Il s'agit aujourd'hui de faire valoir qu'il n'y a pas que les humains qui ont un droit à la santé, nos fleuves, nos rivières, ont aussi le droit à la santé et c'est de la responsabilité de l'État que de protéger cette santé environnementale.

 

Le mercure peut provoquer des convulsions, des troubles de la vue, des pertes d'équilibre et même des troubles de la croissance chez l’enfant. Derrière la santé du fleuve, c’est la santé des populations qui se joue ?

Le fleuve est en fait la source de vie, à la fois pour les populations locales mais aussi pour les non-humains qui peuplent la forêt amazonienne et le territoire de Guyane. Ce fleuve est la première ressource en poisson pour les populations qui n'ont pas un accès à des supermarchés et qui dépendent quasi exclusivement de la chasse et de la pêche. L'accès à un poisson sain et non contaminé par le mercure est vraiment la première nécessité.

Avec le dérèglement climatique, les nappes phréatiques ne se rechargent pas et le fleuve Maroni n'a jamais été aussi bas pendant la saison des pluies. Le fleuve n'est plus praticable, ce qui enclave encore plus les citoyens. L’eau est souillée par les activités illégales, ça pose un vrai problème de santé publique. On le sait depuis les années 1990 : les peuples qui vivent sur le Haut-Maroni ont des taux de mercure représentant parfois 4, 5, 6 fois les taux préconisés par l'Organisation mondiale de la santé.

L'État français n'a pas fait suffisamment pour protéger les populations du Haut-Maroni. Il s'est contenté de dire "voilà quel poisson vous devriez manger", les poissons herbivores, qui contiennent moins de mercure, mais jamais il n'a été mis en place de filières alternatives pour leur permettre de trouver une alimentation saine.

 

Quelles autres initiatives ont été mises en place pour mieux protéger juridiquement la nature ?

En France, il y a un mouvement qui est en train de se généraliser autour de la question des droits de la nature. Il y a énormément d'initiatives qui sont portées par la société civile et par les élus, notamment dans les Outre-mer. En Martinique, a été adoptée en décembre dernier une proposition de loi visant à reconnaître les droits du lagon, des îlets et des sites remarquables du territoire. Les élus de l'Assemblée de Martinique veulent maintenant proposer ce texte au Parlement français. Les îles Loyautés, une province de Nouvelle-Calédonie, ont adopté la dernière partie de leur Code de l'environnement qui reconnaît les droits fondamentaux des requins et des tortues. 

La reconnaissance des droits de la nature, et en particulier de fleuves et de rivières, permet plusieurs choses, notamment un renforcement des normes juridiques, puisque aujourd'hui, il y a beaucoup de normes sur l'eau, mais elles sont encore à la fois trop peu contrôlées et trop peu efficaces. Il y a vraiment cette volonté d'aller de l'avant et de changer le droit de l'environnement, parce qu'on constate qu'il est inefficace face à la crise environnementale. Il doit être complété, il doit être enrichi par un nouveau rapport à la nature.