"Lorsqu'on se rend dans certaines îles en bateau pour des audiences, on transporte les dossiers dans des glacières, lâche Laure Camus, présidente du tribunal de première instance de Papeete. Ça a l'avantage de flotter si ça tombe à l'eau." En plus de faire sourire l'auditoire, cette remarque a le mérite de dépeindre les conditions atypiques dans lesquelles peut s'exercer la justice dans certains territoires d'Outre-mer.
Manque de moyens, d'attractivité ou éloignement géographique, les acteurs du monde judiciaire ultramarin ont décrit les contraintes auxquelles ils font face lors de la première journée dédiée à la justice en Outre-mer ce mardi 26 mars.
Une approche différenciée des Outre-mer
"L'objectif de cette journée était d'établir un diagnostic partagé, et de proposer des actions au regard des spécificités de chaque territoire", précise Patrick Lingibé, membre du Conseil National de l'aide juridique. Premier Ultramarin à siéger au sein de cette institution, l'avocat avait appelé de ses vœux la tenue d'un tél évènement : "Je suis pour une approche différenciée pour les Outre-mer. Il faut arrêter de copier l'Hexagone, cela conduit à des incompréhensions et des frustrations parce qu'on ne répond pas aux problèmes."
La pauvreté comme frein
La pauvreté, plus élevée dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone, constituerait un des freins d'accès à la justice, selon l'avocat.
"L'accès au droit, ça devient un luxe pour des gens qui ne peuvent pas se nourrir."
Patrick Lingibé
"Quand vous vivez sur une île éloignée en Polynésie, il faut prendre un avion ou le bateau pour avoir accès aux institutions. Ça a un coût que ne peut pas se permettre chaque Ultramarin", appuie Laure Camus, présidente du tribunal de première instance de Papeete.
La justice tente alors de s'adapter puisque c'est le juge qui se déplace dans les archipels. Une organisation qui exige un certain budget, et qui n'est pas toujours à la hauteur des attentes. "C'est un territoire qui est grand comme l'Europe, donc on ne peut pas se rendre dans toutes les îles chaque année. Il y en a certaines où on n'est pas allé depuis plusieurs années", déplore Laure Camus.
Des outils inadaptés
En plus des conditions géographiques spécifiques, les territoires ultramarins rassemblent des réalités sociales propres, qui ne sont pas toujours adaptées aux outils pensés pour la justice hexagonale. "Le bracelet anti-rapprochement dans le cadre des violences intra-familiales, ça fonctionne très bien à Paris, mais en Guadeloupe, on va dans le même centre commercial," souligne Yannick Louis-Hodebard, avocate au barreau de Guadeloupe. Tout comme les ordonnances de protection, qui ne protègent pas des regards désapprobateurs.
" On vit tous sur des terrains familiaux, donc même si on a éloigné le mari violent, il y a toujours la belle-mère, le cousin, le beau-frère qui habitent à côté."
Yannick Louis-Hodebard
La création de référents
Afin de mieux cerner les besoins de chaque territoire, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a notamment annoncé lors de cette journée la création de référents dédiés à l'Outre-mer au sein du ministère de la Justice.
"Il faut que cette justice soit au rendez-vous au regard des spécificités de chaque territoire, insiste Justine Bénin, coordonnatrice interministérielle contre les violences faites aux femmes en Outre-mer. Il est important de renforcer les capacités en termes de moyens humains et financiers."
Un investissement indispensable puisque, comme l'a déclaré le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, en ouverture de cet évènement : " Les Français qui habitent dans les territoires ultramarins ont le droit à la même justice que n'importe quel Français. "