À 7.430 km de Mayotte, dans un petit atelier du 4ᵉ arrondissement de Marseille, Soifouani Msaidie est au téléphone. Au bout du fil, une agente de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) lui explique les démarches à suivre pour déposer le brevet de l'invention qu'il a imaginé avec sa compagne, Touflati Hamada.
Depuis qu'ils ont remporté le concours 2023 d'Innov'Action 976, organisé par l'Agence de développement et d'innovation de Mayotte (ADIM) en septembre, Soifouani, un Comorien de 37 ans né à La Réunion, et Touflati, une Mahoraise d'origine malgache de 33 ans, enchaînent les appels et les réunions pour concrétiser leur projet.
Depuis Marseille, où ils vivent depuis des années, ils espèrent que leur invention pourra répondre à la crise que subit Mayotte, où vit une partie de leur famille. Car, depuis des mois, le couple assiste, dépité, à l'aggravation de la situation dans le département français. L'île subit une sécheresse historique. Les retenues collinaires sont presque à sec, faute de pluie. Les usines de dessalement ne tournent pas à plein régime... Résultat : les autorités doivent restreindre l'accès à l'eau et les habitants dépendent des importations de bouteilles depuis La Réunion.
Économiser 75 % d'eau dans les mosquées
Chez les Msaidie/Hamada, on ne veut pas rester les bras ballants face à la crise. Leur fibre d'autoentrepreneur – lui est à la tête d'une entreprise de conception mécanique, elle est consultante en communication et suit des études de stylisme – les pousse à réfléchir et à gribouiller dans leurs carnets pour trouver une solution.
Dans leurs recherches, ils tombent sur une statistique effarante. À Mayotte, les fidèles se rendant à la mosquée utilisent en moyenne 3 litres d'eau potable par personne pour l'ablution – rite musulman qui consiste à se laver la bouche, les mains, les bras et les pieds avant d'aller prier. Les autorités religieuses, elles, recommandent d'utiliser 0,7 litre. Ce gaspillage est lié à la vétusté du réseau d'eau, et à la difficulté de couper le robinet au moment de l'ablution, les mains étant pleines d'eau. "C'est excessif" pour ce petit territoire qui compte plus de 200 mosquées et où une grande partie de la population est musulmane, souligne Touflati Hamada.
Soifouani et Touflati ont alors une idée. Ils conçoivent un robinet écoresponsable qui doit permettre aux fidèles de mieux gérer la quantité d'eau consommée lors de l'ablution. Dans leur atelier marseillais, le duo montre le prototype d'une vingtaine de centimètres de haut qu'ils ont produit grâce à une imprimante 3D. En haut du robinet, ils ont installé un tuyau pour raccorder l'objet à la tuyauterie. Ensuite, un socle en plastique blanc, que l'usager doit activer, permet de remplir une cuve transparente située juste en dessous. Sur cette cuve, une ligne bleue a été tracée pour délimiter les 0,7 litre. De cette manière, le consommateur peut voir la quantité d'eau qu'il utilise. Enfin, un dernier levier, en bas du robinet, doit être soulevé pour laisser couler l'eau. Ainsi, pendant que le fidèle se lave la bouche, les mains, les pieds et les bras, l'eau arrête de s'écouler : aucune goutte n'est gaspillée.
La 1ère a rencontré les deux entrepreneurs dans leur atelier à Marseille :
"Chaque goutte compte", présente Touflati, qui s'est chargée de la partie présentation, pitch, visuel et communication du projet. Soifouani estime que leur produit devrait permettre d'économiser 75 % d'eau potable.
Objectif : se développer dans d'autres lieux
Après avoir défendu leur projet devant l'Agence de développement et d'innovation de Mayotte (ADIM) et obtenu le prix Innov'Action 976, le couple a empoché un chèque de 10.000 € et bénéficie d'un suivi dans le processus de concrétisation du projet. Pour Soumaya Soulaimana, responsable du pôle Innovation à l'ADIM, le robinet écoresponsable de Soifouani et Touflati est "une approche innovante" pour répondre aux enjeux de l'eau sur le territoire.
Le dispositif, qui sera 100 % Made in Mayotte, devrait coûter 150 € l'unité, comprenant l'analyse de la tuyauterie, l'installation et la maintenance, détaille Soifouani. "Le robinet sera rentable au bout d'un an" pour les mosquées qui le mettront en place, promet-il. Sur place, ils ont déjà commencé à rencontrer les différents acteurs qui pourraient acheter leur produit. Le maire de Sada, dans le centre-ouest de l'île, est déjà intéressé, se réjouit le couple.
Pourtant, même s'il permet d'éviter de gaspiller l'eau lors de l'ablution, le projet des deux Marseillais ne peut à lui seul répondre à la crise que subit Mayotte. Car l'application de leur invention sera d'abord limitée aux mosquées. Or, en 2022, selon l'Institut d'émission des départements d'Outre-mer (IEDOM), la consommation d'eau dans les établissements religieux ne représentait que 0,4 % de la consommation totale d'eau potable sur l'île. Une goutte d'eau comparé à la part que représentaient les foyers (88 %). Mais le couple voit loin. "On va commencer à Mayotte, mais l'objectif sera très rapidement d'aller dans les écoles, les mairies, d'aller chercher où sont les problèmes, les consommations d'eau excessives et de trouver une solution, avant de s'étendre dans le monde", se projette déjà Soifouani.
Cet article fait partie d'une série de reportages à Marseille, où Outre-mer la 1ère s'est rendue pour y rencontrer la communauté ultramarine. Retrouvez l'ensemble des articles ici et nos vidéos sur Instagram.