La tâche ne sera pas simple pendant toute la durée de cette Oreille est hardie. Difficile en effet de raconter ou de parler de la Désolation sans en révéler ce qui fait l’un de ses principaux atouts : la surprise. Un rebondissement dans la narration qui fait d’un coup d’un seul, basculer le récit vers tout autre chose. et on en redemande.
Commençons par ce que l’on peut raconter. Évariste, un Réunionnais, s’embarque sur le “Marion Dufresne” avec la ferme intention de tout laisser derrière lui, après ce que l’on comprend être une douloureuse rupture amoureuse. Et il a de la chance, Évariste, car une place vient de se libérer à bord du navire qui fait la rotation entre La Réunion et les îles Kerguelen. C’est qu’on ne monte pas si facilement à bord du “Marion Dufresne” : les terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) ne sont pas, à proprement dire, des lieux de tourisme. En règle générale, ce sont plutôt les scientifiques ou les militaires qui empruntent ce long trajet et très peu de voyageurs “lambda” y sont autorisés.
Commence alors pour Évariste la traversée vers les îles de la Désolation, l’un des noms donnés aux Kerguelen et sa station principale de Port-aux-Français. Arrivé sur place, Evariste s’installe puis intègre un petit groupe pour ce qui devait être une simple expédition en forme de randonnée. Mais la balade ne tourne pas comme prévu et un éboulis plus tard… Bon, c’est là que le mystère et le suspense doivent demeurer.
Trente ans de scenarri
Olivier Appollodorus, dit Appollo, a de l’expérience. Après trente ans de scénarii, depuis l’aventure de la revue du Cri du Margouillat à Saint-Denis-de-La Réunion à ses dizaines d’histoires parues depuis (Fantômes blancs, Biotope, Commando colonial, Chroniques du Léopard ou la série la Grippe coloniale), pas de doute : il sait raconter une histoire, attribuer et développer les caractères et les sentiments de ses personnages, ménager rebondissements et suspense. La Désolation en est un exemple flagrant et la collaboration avec le dessinateur Christophe Gaultier fonctionne à merveille sur cette histoire conjuguant documentaire (un peu), récit intime et thriller haletant tant on se demande ce qui va arriver à Évariste dans l’épreuve qu'il traverse dans la seconde partie du récit.
Une première collaboration avec Gaultier
Il faut l’avouer : ces deux-là se sont trouvés. Le dessinateur Christophe Gaultier est aussi pour beaucoup dans la réussite de cette histoire car ce qu’Appollo réussit avec les mots et la trame narrative, Gaultier le sublime par son trait âpre, sombre volontairement rocailleux à l’image de cette terre de Désolation. Les deux auteurs de BD se sont rencontrés pour la première fois à La Réunion, raconte Appollo dans l’Oreille est hardie, lors d’une rencontre organisée autour de la bande dessinée. Appollo lui fait alors lire une nouvelle qu’il avait écrite voilà quelques années pour une revue littéraire. Christophe Gaultier est emballé et les voilà embarqués tous deux pour les Kerguelen. Virtuellement, du moins.
Désolation, documentation, imagination
Car ni l’un, ni l’autre n’a effectué le voyage sur le “Marion Dufresne” et donc posé le pied aux Kerguelen. Tout sera un travail minutieux de documentation et de recherches iconographiques pour parvenir à rendre de la façon la plus réaliste, les ambiances sur le bateau lors de la traversée ou à l’arrivée sur l’île. Le reste sera une question d’imagination. Et les deux n’en manquent pas. La Désolation n’en est que plus réussie. À mettre devant tous les yeux avides de voyages et de très bonnes histoires…
...Et à écouter également : le scénariste Appollo, invité de l’Oreille est hardie, c’est ici
"La Désolation" bande dessinée signée Appollo et Christophe Gaultier, est publiée aux éditions Dargaud.