Il a beau être publié dans la collection Fiction & Cie des éditions du Seuil, Patrick Deville ne forge pas moins une œuvre que l’on ne peut pas tout à fait qualifier de romanesque. Ou alors, ce serait des « romans sans fiction » comme il aime à les appeler. Depuis qu’il a fait (deux fois !) le tour du monde (dans un sens puis dans l’autre), l’écrivain, voyageur dans l’âme, a construit cette série baptisée Abracadabra en douze volets, douze lieux qu’il a choisis parmi les multiples haltes de son périple, et dont Fenua, après Amazonia, est le huitième épisode.
Il a procédé pour ce récit comme pour ses autres livres : il effectue un séjour d’assez longue durée et emporte avec lui toute la documentation, sa "bibliothèque", nécessaire pour établir les bases de son "roman". Sur place, le voilà qui se rend en tous lieux, qui enquête et qui cherche les traces des différents personnages qui peupleront son livre.
Écoutez Patrick Deville parler de son Fenua dans l’Oreille est hardie, c’est par ICI !
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Bougainville, Cook et les autres...
Tous les livres de cette série commencent à l’année 1860 pour évoquer à la fin, le jour d’hui. En l’occurrence, pour la Polynésie, cette année 1860 était du pain béni pour Patrick Deville : le voilà qui tombe sur l'un des premiers clichés photographiques connus du territoire, pris par un médecin, le chirurgien de marine Gustave Viaud. Quelle meilleure façon de commencer son récit ?
Dans l’Oreille est hardie, l’auteur évoque les personnages qui l'ont fait rêver pendant son enfance, grands « découvreurs » de mondes devant l’éternel : qu’ils soient explorateurs ou militaires (Bougainville, Cook…), scientifiques tels le naturaliste Darwin ou, plus tard dans le temps, hommes de plume comme l’écrivain Pierre Loti - dont on apprend au passage son lien de parenté avec Gustave Viaud, l’auteur sus-cité de la première photographie. Et Deville de poursuivre avec les incontournables comme un certain Paul Gauguin...
Gauguin et la Polynésie
Plusieurs passages sont consacrés à l’homme et l’artiste Gauguin dont les traces (de peinture mais pas que...) sont partout dans l’archipel polynésien. De sa relation avec Van Gogh à celle avec sa femme et ses enfants, de ses différents séjours à Tahiti ou aux îles Marquises à ses retours désabusés dans l'Hexagone, de ses peintures qui rencontrent un beau succès en Europe à ses errances polynésiennes, de ses amours et conquêtes à ses fuites, de son génie de peintre à ses lâchetés d’homme, Patrick Deville n’élude rien dans Fenua et dans l’Oreille est hardie.
Comme une palpitante encyclopédie…
Patrick Deville écrit par petits chapitres mais avec des données très précises et très précieuses pour qui aime ainsi voyager. L’écriture retrouverait presque le procédé employé par les grands encyclopédistes mais avec des entrées plus ramassées, lesquelles seraient jonchées d’indices, explicités et développés d’un chapitre à l’autre, ce qui rend le propos de l'ecrivain sur la Polynesie passionnant et la lecture fluide.
Le regard exogène assumé, Deville entreprend un voyage intime mais universel : ce sont ses sensations d’étranger au territoire mêlées à ses considérations personnelles qui font aussi l’intérêt de ce livre, en particulier dans sa dernière partie.
« Fenua » de Patrick Deville, paru aux éditions du Seuil, collection Fiction et Cie.