D’un côté, des chasseurs de trésors qui trépignent d’impatience à l’idée d’aller exploiter les terres rares des abysses et de l’autre, ceux qui dénoncent un saccage irrévocable de l’environnement. L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), réunie actuellement à Kingston en Jamaïque, doit se prononcer sur l’autorisation d'exploitation minière des grands fonds marins.
En première ligne
Le 7 novembre 2022, au sommet de la Cop 27 à Charm el-Cheikh en Égypte, la France, 2ème espace maritime mondial, a choisi son camp en soutenant l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins. Une position réitérée le 30 juin à Lisbonne, lors de la conférence des Nations Unies sur les océans.
Une position renforcée par l’Assemblée nationale. Le 17 janvier dernier, les parlementaires ont en effet adopté une résolution avec objectif d’"un moratoire pour l’interdiction de l’exploitation minière des fonds marins en haute mer tant qu’il n’aura pas été démontré par des groupes scientifiques indépendants et de manière certaine que cette activité extractive peut être entreprise sans dégrader les écosystèmes marins et sans perte de la biodiversité marine."
La France, représentée à Kingston par son secrétaire d'État chargé de la Mer et soutenu par des scientifiques et des associations de défense de l’environnement, entend peser de tout son poids pour fédérer le plus grand nombre de pays autour d’elle et ainsi préserver les océans. Il y a un an, seuls quatre pays se rangeaient derrière la position française, ils sont désormais 21. L’ambition de cette coalition est de s’opposer aux pays et aux industriels qui estiment que le "deep sea mining", l’exploitation minière des fonds marins, est nécessaire pour réussir la transition énergétique et répondre à la demande qui explose de fabrication de batteries.
Des trésors très convoités
L’enjeu se situe au fond des océans, là où reposent des milliards de nodules polymétalliques. Des cailloux, gros comme une pomme de terre, qui renferment du manganèse et du fer, mais contiennent aussi du nickel, du cuivre ou encore du cobalt. Une manne précieuse pour certains États et industriels prêts à envoyer des engins à plus 4000 mètres de profondeur moissonner les fonds marins.
"Comment mener véritablement une transition écologique si nous allons détruire des écosystèmes pour alimenter des batteries ou des nouvelles technologies?", rétorque le secrétaire d’État chargé de la Mer sur franceinfo. Hervé Berville, qui réclame ce moratoire sur l’exploitation des fonds marins, relaie l’idée que souiller le fond des océans serait une "aberration écologique". D’autant plus incohérent qu’après deux décennies de pourparlers, 193 États membres de l'Organisation des Nations unies (ONU) ont adopté, le 19 juin 2023, l'accord sur le Traité international de protection de la haute mer, destiné à "assurer la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine dans les eaux internationales".
Un répit
L’élaboration d’un code minier définissant les règles du jeu pour la collecte des minéraux situés sur le plancher des océans est depuis dix ans au cœur des négociations de l’assemblée de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) à Kingston. Il devait aboutir cette année, mais, sans doute consciente qu’il est urgent d’attendre, l’AIFM vient de renvoyer l’adoption de texte à 2025. Voilà qui pourrait bien ouvrir une période de grande incertitude juridique et affuter la pression, déjà très forte, des États et industriels désireux d’aller exploiter les fonds marins.
D’autant qu’en juin 2021, un petit État insulaire situé à près de 5 000 km des côtes australiennes, a été le premier à exercer une très forte pression sur l’AIFM. Il avait déclenché une clause lui permettant de réclamer l'adoption d’un code minier d'ici à deux ans. À l'expiration de cette période, il aurait pu solliciter un contrat d'exploitation pour l’entreprise minière canadienne The Metals Company, dès l’été. Finalement, l’État de Nauru a prévenu qu’il s’abstiendrait tant que le code minier n’est pas adopté.
Un soulagement provisoire pour les défenseurs des océans. "D’ici 2025, l’objectif n’est pas de tout faire pour finaliser un code minier bâclé, mais de consacrer les deux ans à venir à construire le consensus autour d’un moratoire", affirme François Chartier, chargé de campagne Océan à Greenpeace France.