La lutte sans frontières de Nathalie Arthaud

Portraits de campagne
Portraits de campagne : le regard forcément subjectif de notre journaliste Serge Massau, sur la campagne électorale. Les candidats à l’élection présidentielle sous le prisme des Outre-mer. Une plongée en coulisses qui éclaire les dessous de la campagne et la personnalité des candidats.
La candidate de Lutte ouvrière Nathalie Arthaud, lors d'un meeting à la Maison de la Mutualité à Paris le 12 février 2022.

"Il est bon, ce café." Tout juste sortie de l’enregistrement de l’émission Outre-mer 2022, Nathalie Arthaud savoure un rapide plaisir sucré dans le bureau du directeur des rédactions du pôle outre-mer de France Télévisions. "C’est le café de la direction…", rétorque l’auteur de ces lignes, un brin taquin. Silence gêné. Qui se prolonge. La candidate du parti Lutte ouvrière vient de passer son temps d’antenne à fustiger les patrons et à appeler les "travailleurs" à prendre le pouvoir.

Nathalie Arthaud a 18 ans lorsqu’elle se forge une conscience politique auprès de militants communistes révolutionnaires rencontrés au lycée. Ils étaient "les plus déterminés", et Lutte ouvrière n’était "pas un parti qui cherchait une place dans les institutions bourgeoises". Elle fait référence au parti communiste, alors soutien de François Mitterrand à l’Elysée. Elle découvre ce XIXème siècle jalonné d’insurrections et de révoltes ouvrières, le plus souvent fermement réprimées. "J’ai découvert qu’il y avait un levier, qu’il était possible de changer la société. A condition de lier son sort au monde du travail." Nathalie Arthaud est professeure d’économie gestion dans un lycée de la banlieue parisienne. Mais ce n’est pas là qu’il faut chercher un lien avec les outre-mer. A-t-elle déjà songé à partir enseigner au soleil ? D’autant qu’il y a la sur-rémunération, non négligeable, pour compenser l’éloignement de l’Hexagone. La réponse fuse. Epidermique. "Non (dix fois, au total), jamais (deux fois). C’est pas l’enrichissement personnel qui pourrait être le critère."

"L’avenir, c’est que le monde du travail prenne lui-même le pouvoir."

Non, ce qui fait vibrer Nathalie Arthaud, c’est la lutte des classes. Quels que soient la latitude et le taux d’humidité dans l’air. La mobilisation contre la pwofitasyon en 2009 en Guadeloupe, le mouvement des 500 Frères de Guyane en 2017, elle aurait bien aimé les vivre sur place. Comme la sensation d’approcher du doigt le Grand soir, dont on ne connait jamais la date à l’avance. "Moi je pense que l’avenir, c’est que le monde du travail prenne lui-même le pouvoir", insiste-t-elle.  Dans sa conception du monde, faite de dominants et d’exploités, les Outre-mer ont quelque chose de profondément anachronique. "C’est sûr que c’est un héritage du passé quand même assez surréaliste. Quand on voit qu’on décide ici du sort de femmes et d’hommes à des milliers de kilomètres, on se dit quand même qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond." Nathalie Arthaud relie le passé au présent et manque de s’étrangler en constatant que "les descendants des esclavagistes sont encore ceux qui tiennent le haut du pavé". A ses yeux, la quête d’indépendance n’est pas pour autant la solution ultime. Elle rêve plutôt d’un monde sans frontières, parle de coopérations et de "fonctionner en interdépendances", comme le Kanak Jean-Marie Tjibaou.

Elle en revient à son mantra : "La véritable émancipation pour le monde du travail, c’est de prendre le pouvoir lui-même. C’est un gouvernement des travailleurs." Son congé électoral prendra fin le 11 avril. Avant de quitter ses élèves, elle leur a expliqué sa démarche. "Eux, ça les intéresse. Ils ont envie de réfléchir, ils sont curieux des différentes positions, des débats politiques. Ils ont un cerveau. Ils ont envie de se forger leur propre option. Et de ce point de vue-là, les débats contradictoires, eux ils aiment."

Retour prévu en classe au lendemain du premier tour. A moins que le Grand soir n’ait lieu un deuxième dimanche d’avril. Et qu’importe si ce n’est pas encore pour cette fois, Nathalie Arthaud y croit. Parce que "c’est une nécessité."