C’est un renfort de poids pour la formation rhodanienne. Grâce à ce recrutement majuscule, le club présidé par Tony Parker enrichit son secteur intérieur et démontre son ambition sur le plan national et européen. Pour son retour dans l’Hexagone, la vice-championne olympique 2012 aux JO de Londres et championne d’Europe 2009 à Riga, riche d’un palmarès unique, s’est confiée à Outre-mer La 1ère.
Vous êtes donc de retour en France. Pourquoi ce choix ?
Sandrine Gruda : J’ai quitté Familia Schio en Italie au mois de mai dernier. C’était une très bonne saison en termes de résultats. On fait un triplé. On gagne la Super Coupe, la Coupe d’Italie, le Championnat d’Italie. Maintenant il y a eu des hauts et des bas cette saison, comme passer à côté de la qualification aux Final Four de l’Euroleague. Je rentre en France car je pense que la Ligue féminine de basket-ball est le championnat le plus homogène d’Europe. Une joueuse européenne qui souhaite prendre du galon gagnera à y jouer parce qu’il y a entre autres plus d’adversité. Par ailleurs, c’est tous les week-ends.
A quoi vous attendez-vous ?
Ce n’est pas parce que c’est la France que cela va changer. Vous savez quand je joue en équipe de France ou quand je joue en club, j’ai souvent eu droit à un traitement particulier sur les parquets. Il y a toujours eu des stratégies pour me contrer, donc rien de plus que je ne connaisse déjà. Je suis partie de France à 20 ans et je reviens à l’âge de 34 ans. Forcément, il y a eu du changement, une évolution. Cependant, comme toutes les années mon objectif consiste à viser les objectifs les plus relevés. Je veux pouvoir remporter le plus de titres possibles. On a également la Coupe du monde cet été, il s’agit de faire mieux que la 5ème place. Et enfin les Jeux Olympiques de 2024. On jouera à domicile. Evidemment, on visera une belle médaille.
Vous avez joué dans plusieurs clubs et dans plusieurs championnats. En quoi le changement est important à vos yeux ?
Cela peut être surprenant pour certaines personnes mais quand on regarde bien une joueuse évoluant en France change aussi de club. C’est très rare de rester toute une carrière dans un seul et même club. C’est pourquoi je dirai que question changement de club, ma carrière sportive n’est pas plus différente que celle d’une joueuse française en termes de changements. Cela dit, je reconnais effectivement avoir choisi de mener principalement ma carrière à l’étranger. Jusqu’à présent, j’ai joué quinze ans en dehors de la France sur mes 17 années de carrière actuelle. J’ai passé neuf ans en Russie, deux ans en Turquie et quatre ans en Italie. Partir à 20 ans, en Russie, en effet, fut un choix pas facile à faire, qui a surpris beaucoup de monde et qui n’a pas fait l’unanimité.
Comment l’expliquez-vous ?
Avant les joueuses de basket partaient en fin de carrière afin d’arrondir leur compte bancaire. Personnellement, j’ai voulu avant tout sortir de ma zone de confort et engranger de l’expérience. On ne peut progresser que non seulement en se mettant en difficulté mais aussi en repoussant ses propres limites. En s’expatriant on peut aussi toucher du doigt à d’autres formations parce que le basket-ball enseigné en France n’est pas le même que celui enseigné aux Etats-Unis, en Russie, en Italie ou en Turquie par exemple. Pour compléter mon bagage basket, j’ai donc voulu voir ce qui se faisait ailleurs et me confronter et côtoyer les meilleures joueuses d’Europe et du monde.
Par exemple quand j’arrive en Russie, je joue avec les meilleures joueuses Diana Taurasi, Sue Bird ou Candace Parker. L’étranger ça permet de gagner en responsabilités. Souvent on compte plus sur les joueuses étrangères pour pouvoir débloquer une situation, pour apporter une plus-value. Du coup, quand j’ai eu ce rôle d’étrangère dans un championnat étranger, je me suis retrouvé à mon tour dans cette situation où dans un moment chaud ou décisif je dois prendre mes responsabilités pour porter l’équipe et essayer d’apporter la meilleure solution. Ce genre de chose s’apprend lorsque l’on nous donne ce genre de rôle. C’est rarement inné.
J’ai appris à prendre mes responsabilités. Cela m’a forgé un mental car être loin des siens, seule, dans une ville, un environnement inconnu, sans repères, c’est extrêmement compliqué. J’ai dû m’adapter à chaque fois. Je n’avais pas avec moi mon socle social et familial pour me rebooster. Il me fallait puiser dans mes propres ressources morales, mes connaissances, mes expériences et me retourner sur moi-même pour trouver des réponses à mes problématiques.
Sandrine Gruda
Cela demande une ouverture au monde, aux autres et déconstruire ce qu’on fait habituellement. Voyager fut très enrichissant car cela m’a permis de découvrir de nombreuses cultures, de nouvelles langues et j’ai beaucoup appris sur moi-même.
Peu de gens vous ont compris au départ ?
Agir comme je le faisais me faisait apparaitre comme une extraterrestre. Mon parcours valide complètement mon choix de consacrer mon temps au basket et la manière dont je voulais le faire : à m’entrainer durement et sans chômer. Ma force mentale je la dois à mon expatriation et à mon parcours. J’ai toujours voulu passer des caps sans attendre. Souvent les gens attendent qu’une situation les desserve pour pouvoir faire des choix et quitter cette situation alors que c’est déjà trop tard. Quand je ne suis pas contente, je le fais savoir. Pas qu’au basket, j’aime quand les choses sont bien faites. Quand une chose n’est pas bien faite cela m’irrite et je reste dessus, sur la tâche, jusqu’à ce qu’il y ait du mieux au moins jusqu’ à 95%. Jusqu’à ce que je parvienne à une certaine perfection. Je suis très perfectionniste.
Vous considérez-vous comme une joueuse hexagonale ou ultramarine ?
Je me considère comme une joueuse ultramarine. Je suis Martiniquaise. J’ai quitté mon île pour performer en France puis à l’étranger. Je suis né à Cannes mais je dirais que c’est plus une question de formalités car je n’ai pas grandi là-bas. J’ai voyagé, je n’avais que quelques mois lorsque ma famille est partie. En fait, mon père a joué à Cannes en tant que basketteur professionnel. Toute la famille se déplaçait en fonction de ses lieux de jeux, de ses clubs. Toutefois, j’ai fait toutes mes classes de la maternelle jusqu’à la troisième en Martinique. J’ai grandi en Martinique. Comme j’étais dans le bassin caribéen, j’ai été plus influencé par le basket-ball américain qu’européen.
On a vraiment une culture caribéenne voire parfois même anglo-saxonne. Par notre positionnement géographique, on est très influencé par les Etats-Unis. Une destination à laquelle beaucoup de jeunes Antillais rêvent. On y regarde la NBA, la WNBA. Ainsi, c’est en regardant la pivot de l’équipe américaine Lisa Leslie que j’ai plus encore aimé mon sport.
Sandrine Gruda
C’était incroyable comment elle dominait la Ligue américaine. C’était la meilleure joueuse américaine pendant des années. Encore aujourd’hui, c’est une légende vivante. Je m’identifiais à elle. Je trouvais qu’on avait des similitudes, même poste de jeu, plutôt longiligne etc. Je l’avais en ligne de mire et je voulais atteindre le même niveau qu’elle.
A quel point êtes-vous attachée à la Martinique, vous la voyageuse ?
Etant donné que j’ai quitté l’île assez jeune, la distance rapproche. Je me fais un point d’honneur à revenir sur mon île chaque année. J’en ai besoin. C’est essentiel. C’est vital pour moi. Je suis fière de qui je suis. C’est la Terre-mère.
Aviez vous le rêve américain, avec comme objectif la WNBA ?
J'ai grandi vraiment avec cette culture américaine. D’ailleurs, je voulais jouer là-bas. Lorsque je deviens pro en 2005, je veux me faire drafter tout de suite. Finalement ce sera deux ans après en 2007 par les Connecticut Sun. La WNBA était moins médiatisée qu’aujourd’hui. C’est une ligue estivale. On a l’impression qu’elle dure moins longtemps. Parce qu’elle dure moins longtemps et peu médiatisée, on peut très vite passer inaperçue. Je fais quand même trois été à Connecticut et trois été à Los Angeles. Durée que peu de Françaises, à l’exception d’Edwige Lawson, ont fait. Je gagne même le titre WNBA en 2016. En plus en Europe, j’évolue beaucoup avec les Américaines. Je pense connaître très bien la culture américaine grâce à mes coéquipières.
En dehors du basket-ball qu’est-ce qui vous passionne ?
J’ai créé une association en Martinique, il y a deux ans, qui se nomme «Jeux et Enjeux». On mène des actions à la Martinique. La première action consiste à faire un stage que j’ai nommé «Jeunes en devenir» où on accompagne des jeunes à se réaliser. Je parle de développement personnel juvénile. Je propose un certain nombre d’ateliers et l’enfant y a accès à fréquence régulière pendant cinq mois. La première édition a été un franc succès. Je suis super contente d’avoir pu mettre ça en place et que ce soit aujourd’hui un produit qui soit demandé. On a lancé les inscriptions ce mois-ci et il y aura le stage d’octobre à février. Il y aura une prolongation de mars à mai pour les parents qui voudront. On veut être présent sur toute la durée de l’année scolaire. On est au Lamentin, à l’Institut Martiniquais du Sport (IMS). Dans les ateliers que je propose, il y a également des activités comme la natation, l’athlétisme et le basket-ball. On a également six ateliers de bien-être où il y a de la méthode 3C. C’est une méthode de relaxation, avec du théâtre et de la finance, de la psychologie, des stratégies d’apprentissage et des réflexes archaïques.
J’ai voulu me concentrer sur des ateliers qui favorisent un alignement Tête/Cœur/Corps. On est sur une tranche d’âge 13/17 ans donc en pleine adolescence, en pleine phase de croissance et de puberté où les enfants sont souvent considérés comme rebelles. J’ai ciblé cette tranche d’âge car ce ne sont pas des enfants rebelles. Certes, ils sont dans une phase de leur croissance et ont des variations hormonales qui vont impacter l’humeur mais ils ont surtout besoin d’outils pour pouvoir être équilibrés émotionnellement, psychologiquement, physiquement et aussi cérébralement. Il s’agit d’apprendre à l’enfant à gagner en autonomie, lui donner dans la vie des outils pour devenir plus tard s’il le souhaite un entrepreneur par exemple. C’est un enseignement transversal.
En quoi s’engager est-il important pour vous ?
Quand je m’engage, je m’engage. Certains sportifs prêtent leurs noms mais ne s’investissent pas. On croit que le projet leur appartient mais ce n’est pas le cas. Mon accueil pour ce projet a été un peu dubitatif. Les partenaires ont voulu me voir et m’ont posé une série de questions pour s’assurer que c’était bien moi qui était derrière les actions que je mène et pas quelqu’un d’autres. Il faut convaincre les gens. Faire une première édition pour que les gens voient que c’est bien réel. Qu’on n’est pas là pour jouer. Je ne joue pas avec la vie des gens. J’ai quand même 14 enfants, quatorze vies entre les mains. Je ne peux pas faire n’importe quoi avec.
Pourquoi consacrer votre temps libre à la jeunesse ?
Quand je suis parti à 15 ans, j’ai dû gagner en autonomie assez rapidement. Je pars sans mes parents, seule… Il a fallu que je m’organise, que je réfléchisse, que je me structure. Je l’ai fait seule et au fil des années j’ai fait quelques erreurs de parcours.
Aujourd’hui, j’ai compris ce qui était essentiel. Ce qui était important pour l’équilibre d’une personne. Donc, j’ai choisi de consacrer de mon temps, de mon savoir, de mon expérience, de transmettre ce savoir-là à la jeunesse dans une structure pour pouvoir accueillir le jeune comme il se doit. J’ai créé cette association parce que je me dis que si j’avais pu acquérir ces outils-là plus jeune et avant mon départ dans l’Hexagone, j’aurais sans aucun doute fait moins d’erreurs.
Sandrine Gruda
En clair, quand je dis que j’accueille des jeunes de 13 à 17 ans, à cet âge c’est là qu’on peut partir dans l’Hexagone pour suivre des études. Il faut savoir que tous ces jeunes ne sont pas tous des sportifs. Beaucoup pensent que dans cet établissement ce sont essentiellement des sportifs or pas du tout. Aucun prérequis n’est nécessaire. Sportif ou pas tu viens si le stage t’intéresse et tu t’inscris ou ton parent t’inscrit.
Je disais que 17 ans est l’âge susceptible pour partir dans l’Hexagone ou au Canada. C’est le circuit généralement choisi ici par les enfants à la Martinique. Ils doivent partir avec un certain bagage. L’atelier finance va leur permettre à apprendre comment faire un prêt étudiant ou un prêt consommation, l’atelier théâtre comment s’ancrer dans une société nouvelle, différentes cultures, différents repères. La méthode 3C favorise la concentration, le calme et le contrôle. On ne perd pas ses moyens, on se stabilise. La psychologie permettra de gagner en estime de soi. Les réflexes archaïques sont tous ces réflexes un peu parasites qu’un enfant peut avoir, comme le zozotage qui pourraient freiner un entretien d’embauche, et les stratégies d’apprentissage c’est apprendre à apprendre peu importe le cursus choisi. On va mettre l’accent sur le mode d’apprentissage qui correspond le mieux à l’enfant : visuel, auditif ou autres. On va maximiser ton talent, qui tu es et ta façon d’apprendre, on va pouvoir te transmettre les outils pour délivrer et décupler ton potentiel. Le jeune doit être autonome dans son apprentissage que ce soit en Première ou dans une classe préparatoire, la Sorbonne… je ne sais où. Tout ça prépare à la vie d’adulte.
Pourriez-vous me donner vos deux cinq Majeurs actuels de rêve ?
C’est trop dur ! Mais voici le premier, le 5 Majeurs Masculin : Stephen Curry (Golden State Warrior) à la mène en 1, Luka Dontic (Mavericks de Dallas) en 2, Lebron James (Lakers de Los Angeles) en 3, Giannis Antetokounmpo (Bucks de Milwaukee) en 4 et Joël Embiid (76ers de Philadelphie) en 5. Pour mon 5 Majeurs féminin, je mets Sue Bird (Storm de Seattle) en 1, Diana Taurasi (Mercury de Phoenix) en 2, Elena Delle Donne (Mystics de Washigton) en 3, Candace Parker (Sky de Chicago) en 4 et Sylvia Fowles (Lynx du Minnesota) en 5.
Un dernier mot ?
Je nous souhaite la santé et d’être Libre avec un grand L.