"Une tentative de rencontre poétique." C'est comme cela que l'artiste guyanais Mathieu Kleyebe Abonnenc, également commissaire de l'exposition, a imaginé "La Mémoire des hauts-fonds" à la Cité internationale des Arts de Paris. Une exposition qui regroupe une vingtaine d'artistes, anciens et actuels résidents de la Cité, tous issus de territoires géographiquement éloignés de l'Hexagone.
La métaphore du banc de sable
Le nom de l'exposition fait référence à un texte de la militante afro-américaine Tiffany Lethabo King. "Dans son texte, explique le commissaire Mathieu Kleyebe Abonnenc, elle tente de placer la métaphore des bancs de sable pour penser les moments de rencontre et de capacité d'agir politique des africains américains après la mise en esclavage. Les bancs de sable sont à penser comme des éléments qui ne sont pas vraiment la terre et pas vraiment la mer. Quelque chose de toujours mouvant. Quelque chose qui peut avoir pleins de formes." Le Réunionnais Jonathan Potana, artiste exposant, complète : "Les hauts-fonds parlent d’un caractère atemporel de l’art, c'est-à-dire de se questionner sur des formes qui vont se répéter dans le temps."
Et c'est justement ce que cette exposition propose. Mettre côte à côte des singularités et des univers. Mettre côte à côte, aussi, des générations d'artistes. "Il y a tous ces artistes qui sont venus depuis les années 1960 à la Cité, raconte Mathieu Kleyebe Abonnenc. Et on arrive à faire un portrait très temporaire de travaux, de façons d’être au monde, de façon de produire des formes dans le monde. Des fois de manières très oppositionnelles. Des fois de manière très poétique."
Mouvements primaires et résistances
Parmi la jeune génération d'artistes ultramarins qui s'illustrent, deux figurent au programme de l'exposition. Jonathan Potana est Réunionnais. Il se décrit comme sculpteur et vient de terminer sa résidence à la Cité internationale des Arts. C'est grâce au programme Ondes, uniquement réservé aux artistes ultramarins, qu'il a pu développer son art dans ce haut-lieu de la culture. L'une des œuvres qu'il expose dans son Mouvement primaire est d'ailleurs à l'affiche de l'exposition. "Ce que l'on voit, ce sont 590 mains dessinées au stylo noir, décrit l'artiste. L'œuvre s’est déroulée sur deux mois et demi en résidence. Ce qui m’intéressait là-dedans, c'était une certaine gravité, contradictoire, d’invoquer des formes ancestrales."
Dans un souci d'hétérogénéité assumée, photographies, sculptures et animation cohabitent, entre autres, dans les espaces de la galerie. Keywa Henri, artiste Kalin'a de Guyane, propose justement un poème animé, à visionner en boucle sur un écran.
Cuire à l’étouffer. A tanga pa wa. Je sillonne les cales remodelées. Je louvoie sur les fragments reviviscents. À l’éclipse séculaire. Je décèle une gloire.
Keywa Henripoème animé
Les lettres apparaissent les unes après les autres sur de la chair. De la viande. Comme gravées. "C’est un poème qui fait référence à comment s’est inscrite la violence de la colonisation. Mais d’autre part, comment est-ce qu’on résiste, comment est-ce qu’on va établir des stratégies pour perdurer pour persister tout au long de notre vie, prononce avec émotion l'artiste. Et l’animation, comme un processus, justement, comme quelque chose qui est toujours en mouvement, toujours en marche."
Keywa Henri explique aux visiteurs la signification du vers en Kalin'a "a tanga pa wa". "Je ne m'efface pas". Comme une déclaration à tout un peuple et à tous les autochtones de ne pas s'effacer. Jamais.
L'exposition "La mémoire des hauts-fonds" est à visiter à la galerie de la Cité internationale des arts, à Paris, jusqu'au 6 avril.