Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour ont débattu jeudi 23 septembre sur BFM-TV, à sept mois de la présidentielle. Le premier thème du débat était : la France est-elle en danger ? Une question qui a immédiatement montré les divergences de points de vue entre les deux hommes. Pour exposer le sien, Jean-Luc Mélenchon a défini ce qu’il considère être la nature de la France : "Nous sommes le pays qui pratique depuis le plus longtemps et le seul en Europe, une forme de créolisation qui est assumée, c’est-à-dire que ce n’est pas autre chose que la création d’une culture de gens qui se trouvent au même endroit." Un mot, un concept, qui est maintenant employé depuis un an par le député LFI.
Pourtant, c’est un terme ancien. Le poète et philosophe martiniquais Edouard Glissant l’a ensuite repris et enrichi comme l’explique à Outre-mer la 1ère Loïc Céry, directeur du Centre international d’études Edouard Glissant (CIEEG). "Il (Glissant) n’est pas l’inventeur de ce concept qui existe depuis une réunion à la Société Française d’Anthropologie en 1894. [C'est] un concept qui a été utilisé tout au long du XXe siècle, mais qu’Edouard Glissant a beaucoup enrichi, en lui donnant un tour plus ample, en reprenant le processus d’acculturation", explique Loïc Céry.
Qu’est-ce que la créolisation ?
A cette question, la définition donnée par l’ancien sénateur socialiste lors du débat est conforme au concept de l’auteur martiniquais. "Depuis le départ, Jean-Luc Mélenchon donne des définitions exactes de ce qu’est la créolisation", précise le chercheur, avant d’ajouter : "Il parle de quelque chose qu’il a lu, c’est un concept qui ne souffre pas d’approximations (…) je suis agréablement surpris que Mélenchon soit précis."
La créolisation, ce n’est pas de faire d’une société un monde créole dans le sens des Antilles, ce n’est pas le simple métissage, la créolisation, c’est quand un mélange de cultures donne "la création d’une entité culturelle nouvelle et inattendue (…) c’est un processus historique doublé d’un processus anthropologique", précise Loïc Céry.
En revanche, là ou le candidat LFI à l’élection présidentielle a compris le concept de créolisation ou du moins, a véritablement lu Glissant, il n’en est pas de même pour son adversaire selon le chercheur. "Je tire mon chapeau à Mélenchon, car ce débat a permis de démontrer que Zemmour ne connaît rien à la créolisation (…) parler de ça nécessite d’avoir lu Glissant, ce que n’a pas fait Zemmour", assure le directeur du CIEEG. Le polémiste parle en effet du concept de créolisation comme étant "une espèce de chimère pseudo-poétique (…) un nouveau mot pour vanter une fois de plus la mondialisation, le multiculturalisme, le droit à la différence…"
L’inverse du multiculturalisme
Le multiculturalisme est un produit du modèle universaliste américain qui se situe à l’opposé du modèle républicain français, tout aussi universaliste. Un modèle que connaissait très bien Edouard Glissant puisqu’il a vécu aux Etats-Unis. Il a en effet établi ses quartiers à New-York mais aussi à Bâton-Rouge où il a été professeur à l’université de Louisiane. Ce modèle américain qui est multiculturel, consiste en une juxtaposition d’identités qui ne se mélangent pas. Pourtant, Loïc Céry rappelle que dans le concept de créolisation, "la notion la plus essentielle, c’est la Relation. Or, avec le modèle américain, il n’y a pas de relations, au mieux, une paix civile précaire." En d’autres termes, c’est du communautarisme.
Le multiculturalisme américain est donc à l’opposé de la créolisation. Cette dernière est un concept complexe à appréhender. Au-delà de cet échange entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon, la pensée d’Edouard Glissant a été mise sur le devant du débat public, ce dont se félicite Loïc Céry : "Dès qu’il s’agit d’utiliser la pensée d’Edouard Glissant, ça me réjouit, (…) Fondamentalement, c’est une chance, il est un des penseurs les plus importants pour comprendre ce qui nous arrive aujourd’hui et peut-être même de ce qui nous arrivera dans le futur".