Il n’y a pas que le sang ou les organes qui se donnent, il y a aussi le lait maternel. Il est destiné aux nouveau-nés présentant certaines maladies ou aux grands prématurés (c’est-à-dire ceux nés avant le 8e mois de grossesse et/ou avec un poids inférieur à 1,5 kg), quand la mère n’a pas assez de lait pour nourrir son bébé hospitalisé ou qu’elle ne peut pas le faire à cause de contre-indications pathologiques.
Les femmes qui allaitent et ont un surplus peuvent donner leur lait qui est recueilli et contrôlé par un lactarium. Celui-ci vérifie qu’il ne contient pas de virus ou bactéries (Sida, hépatite, etc.), puis pasteurise et congèle le liquide à – 18 degrés avant de le distribuer dans les unités de néonatologie.
Il existe 34 lactariums en France, dont deux en Outre-mer, en Martinique et en Guyane. Mais ces derniers ne peuvent pour l’instant pas recueillir de dons anonymes et fonctionnent uniquement pour les besoins internes des hôpitaux de Fort-de-France et Cayenne. Un projet est par ailleurs en cours à La Réunion.
Comme l’indique le professeur Jean-Charles Picaud, président de l’association des lactariums de France (ADLF), ce type d’infrastructures est "très lourd sur le plan réglementaire". Il nécessite aussi "beaucoup d’énergie de la part des professionnels et surtout un vrai soutien des institutions hospitalières qui hébergent le lactarium et de l’ARS [agence régionale de santé, NDLR] concernée". Car le don de lait maternel est considéré comme un don d’organe ou un médicament et est extrêmement surveillé.
"Une mobilisation nationale"
Pour répondre aux besoins des hôpitaux ultramarins, un lactarium basé à Marmande (Lot-et-Garonne) s’occupe de lyophiliser les dons de lait maternel. Transformé en poudre, il se conserve à température ambiante pendant 18 mois, et peut donc plus facilement être envoyé dans les Outre-mer.
Or ce site de Marmande doit déménager à partir de juin 2024 au CHU de Bordeaux (Gironde), et la production de lait lyophilisé sera donc suspendue pendant au moins six mois. Pour éviter la rupture de stock sur cette période, le ministère de la Santé a donc appelé mi-février à "une nécessaire mobilisation nationale".
"Afin de disposer d’une quantité suffisante de lait lyophilisé pour les DROM-COM, tout en maintenant la délivrance du lait issu de don aux enfants hospitalisés en métropole, la collecte nationale doit augmenter, explique-t-il dans son communiqué. Les autorités sanitaires ont d’ailleurs débloqué 1,9 million d’euros pour permettre aux lactariums de gérer cette collecte supplémentaire."
Le Pr. Picaud confirme à Outre-mer la 1ère que "tous les lactariums se mobilisent", et ce depuis le printemps dernier, pour qu’il y ait un stock de lait lyophilisé suffisant pour le second semestre 2024. S’il n’y en pas assez, ils ont aussi réfléchi au processus pour envoyer du lait congelé Outre-mer.
Il ne craint donc pas une crise du lait maternel liée au déménagement, sachant que "les différents services de néonatologie d’Outre-mer ont besoin d’environ 4.400 litres de lait de don par an", sur les 48.000 litres de lait collectés dans la France entière.
Un manque de 25.000 litres de lait par an
Mais le président de l’association, par ailleurs spécialiste dans la prise en charge des enfants extrêmement prématurés au CHU de Lyon, rappelle que les dons ne couvrent pas toujours les besoins au niveau national. Il estime qu’il manque approximativement entre 20 et 25.000 litres de lait par an.
"Le fait que nous soyons régulièrement proches de la pénurie signifie bien que la quantité de lait de don qui est collectée est insuffisante, regrette-t-il. Quand la pénurie touche un lactarium, les autres peuvent l’aider. Quand ça concerne tout le territoire, c’est plus compliqué. Ce fut par exemple le cas début 2022."
En cas de pénurie, du lait de vache modifié peut être donné aux nourrissons, mais il sera toujours moins complet que le lait maternel pour aider le prématuré à se développer et pour prévenir des complications potentiellement graves, assure le Pr Picaud. D’où l’importance de faire comprendre au grand public que le lait maternel est fondamental pour la survie les nouveau-nés.
Plus de grands prématurés Outre-mer
Ces dons de lait sont davantage nécessaires dans les territoires d’Outre-mer car ceux-ci comptent plus de naissances prématurées. Selon les données de la DREES (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), en 2022, 1,7% des bébés vivants nés dans les DROM étaient de grands prématurés et prématurés extrêmes, contre 1,1% en France hexagonale. Cela représente environ 650 nouveau-nés en grande ou extrême prématurité sur les 3.800 prématurés ultramarins.
Même tendance du côté du poids : en 2022, 2% des nouveau-nés dans les DROM pesaient moins de 1,5 kg à la naissance, contre 1,1% en France hexagonale.
Ces prématurés ont en moyenne besoin de 18 à 20 litres de lait lors de leur hospitalisation. Sachant que les lactariums privilégient toujours dans un premier temps l’allaitement par la propre mère et ne complètent que si besoin avec les dons, toute femme qui allaite peut aider, assure l’ADLF. "Un petit biberon de 100 ml de lait par jour pendant 15 jours suffit" donc pour "permettre la vie à un autre enfant".