En Guadeloupe, cette deuxième vague semble amorcer son reflux.
"Ceux qui ont payé le prix"
Mi-octobre, le taux d'incidence est ainsi passé en une semaine de 194/100.000 habitant à 140. Mais les 130 soignants de réanimation du CHU peinent à se réjouir. "La vague a été contenue mais à quel prix ?" écrivent-ils dans une tribune envoyée aux médias.Sur deux pages défilent les exemples de "ceux qui ont payé ce prix". Des patients comme Elisa, ou Georges, épargné par le covid "mais qui a vu ses rendez-vous décalés à plusieurs reprises et qui n'ose plus se rendre à l'hôpital par crainte d'y contracter le virus".
Mais aussi des soignants de chaque métier, dont le texte égrène les noms, comme "Lydie, cette infirmière (...) venue travailler chaque jour en pleurs et la boule au ventre". Ils racontent l'épuisement, les renoncements aux congés, les pertes de sens et de vocation, la fatigue physique, les formations avortées et le traumatisme psychologique.
"Nous avons souhaité retranscrire notre vécu et notre ressenti. Nous sommes abreuvés de chiffres abstraits, mais les réalités sont concrètes", explique Marc Valette, chef du service, qui compte une dizaine de burn out sévères depuis l'été. Il a demandé une cellule psychologique, accordée par la direction de l'hôpital.
C'est le sentiment d'isolement qui a déclenché le besoin d'écrire, face à "des indicateurs critiques" affrontés sans que l'état d'urgence sanitaire ne soit décrété. Mais aussi face à la population locale, avec "un décalage réel entre la perception de l'évolution de l'épidémie et notre quotidien" : les infirmiers sont passés de 35 à 60 heures hebdomadaires, quand les médecins ont "arrêté de compter".
Quand je vois les conséquences sur le service, avec trois semaines d'avance sur la métropole, je me demande combien craqueront là-bas.
"tellement de décès"
"A la première vague, on a reçu du soutien de la population", souligne Marlyse Vairac, cadre-infirmière. "Cette fois la population ne croyait pas toujours à la situation". Elle témoigne de la "difficulté logistique" d'organiser les plannings et le matériel avec des unités covid remplies.Désormais, l'heure est plutôt à la réduction du nombre de lit covid. Mais alors que les 37 soignants militaires, dépêchés en renfort début octobre, plient bagage mercredi et jeudi, la tension reste vive. "Nous fermons des lits mais nous restons en sous-effectif pour les 20 lits Covid et les 18 non covid qui restent ouverts" (contre 22 en temps normal, ndlr), indique Marc Valette. "Je veux trois mois de vacances après toute cette misère !", lance dans le couloir une femme en blouse verte.
"J'ai eu la dengue, ça m'a sauvé du burn out en m'octroyant une pause", essaie de sourire Ariel (le prénom a été changé), interne de 24 ans, en première année, qui a vu "tellement de décès" que "psychologiquement, ça ne va pas".
Dans le service de réanimation, on a conscience du lourd tribut payé par les étudiants, "venus pour la deuxième fois de l'année nous prêter main forte plutôt que d'apprendre leur métier", écrivent les soignants, racontant cet interne, "plié en deux de douleur, à cause d'un calcul rénal contracté de n'avoir pas pu boire suffisamment lors de sa garde de 24 heures."
Le plus gros de la vague est passé. Elle laissera des traces indélébiles sur beaucoup d'entre nous et remettra en cause plus d'une vocation si rien n'est fait rapidement. Aujourd'hui, la vague déferle en métropole. À tous les soignants, nous souhaitons bon courage. Tenez bon, il y aura forcément une lumière au bout du tunnel... mais à quel prix...
-Lettre ouverte des 130 soignangts de réanimation du CHU de Guadeloupe
En Guadeloupe, 115 personnes sont décédées du coronavirus depuis le début de l'épidémie.