Le Réunionnais Morgan Lagravière sur les traces de Jules Verne autour du monde

Le nouveau Morgan, déterminé et prêt pour le record
A 33 ans, Morgan Lagravière va tenter de boucler son premier tour du monde en équipage. Il a été choisi par Franck Cammas et Charles Caudrelier pour barrer le maxi trimaran Edmond de Rothschild. Avec un fantastique pari, battre le record du trophée Jules Verne en moins de 40 jours.

 
Morgan Lagravière et tout le reste de l’équipage du maxi trimaran sont en stand-by depuis le 1er novembre, attendant la fenêtre météo qui permettra au bateau de rejoindre la ligne de départ virtuelle et de s’élancer pour le record. Nous l’avons rencontré à la base de Lorient, port d’attache du Gitana 17. Pour lui, faire partie de cette aventure est un nouveau départ dans sa carrière de marin.

Outre-mer la 1ère : Est-ce que tu as déjà lu Jules Verne quand tu étais adolescent et les aventures de Phileas Fogg, le héros du roman ?
Morgan Lagravière : Pas beaucoup et puis je n’ai pas une culture poussée sur l’historique des différents records ou personnages qui ont fait ça. Pour moi, ce record c’est participer à quelque chose de symbolique, à l’histoire d’une course qui n’est pas anodine. Forcément ça fait quelque chose, je suis conscient de l’ampleur du défi et de ce qui nous attend car tu ne pars pas sur cet exercice la fleur au fusil. Il y a une part d’appréhension, de concentration, d’adrénaline et d’envie. C’est tout un ensemble de sentiments qui se partagent, mais dans tout cela c’est l’envie qui prédomine.
 
Le maxi trimaran en vol au dessus de l 'eau
Le bateau est hors dimension, il fait 32 mètres de long avec un mât de 37 mètres de haut, on a l’impression d’être tout petit devant lui sur les pontons. Comment te sens-tu à la barre de ce maxi trimaran ?
Le paradoxe de la taille de ces bateaux c’est qu’ils paraissent énormes au ponton mais en mer ils paraissent tout petits. Que ce soit sur un 32 mètres ou un Imoca (ndlr 18,28 mètres) dans cette immensité de l’océan on se sent ridicules, c’est aussi le cas avec un bateau comme ça mais on s’approprie progressivement les choses. On s’habitue à tout, même si on est à la barre. Bien sûr que c’est impressionnant mais ça devient une normalité quelque part car le bateau a des comportements appréhendables. On le barre de la même façon qu’un Imoca ou qu’un Figaro car il y a des choses proches même si le comportement du bateau est différent car il vole beaucoup plus, à la différence d’un Imoca. On fonctionne avec une force nous propulsant qui est le vent, on est sur un milieu liquide, il y a des choses qui se ressemblent.

On utilise le terme de bateau volant pour ces machines extraordinaires, comme le trimaran Gitana 17 ou le Sodebo de Thomas Coville (amarré à quai juste à côté). Est-ce qu’en tant que barreur tu as l’impression d’être un pilote d’avion ?
Disons que directement je n’ai pas l’impression de transposer grand-chose, après il y a des trucs que j’ai appris en aviation que je capte au travers de l’aptitude au pilotage et que je parviens à retranscrire sur le bateau. Les termes qu’on va utiliser sur l’aérodynamique sont souvent issus des techniques d’aviation, parfois plus poussées que dans le petit milieu dans lequel j’évolue souvent. Il faut dire que depuis près de dix ans j’ai ma licence de pilote privé, sur des monomoteurs à piston, des petits avions. Comme sur d’autres supports qui sont planants, avec des sensations identiques de glisse, on trouve des similitudes. On va parler de carénage aérodynamique, de réglage de parallélisme des safrans.
 

Dans le comportement du bateau, quand il vole et quand on le regarde, on se demande si ce n’est pas un mix entre un bateau classique et un avion, la visualisation parle d’elle-même

Morgan Lagravière

 
 
Morgan à la barre ça décoiffe !

Tu es le barreur du maxi trimaran, Franck Cammas et Charles Caudrelier t’ont choisi pour cela, est-ce un peu de pression supplémentaire pour toi ?
Il y a Franck et Charles mais aussi les dirigeants de Gitana. Que ce soit dans nos profils, nos tempéraments, nos générations, on est une équipe variée avec des profils assez différents et une super complémentarité les uns envers les autres. Moi je suis le benjamin à bord du bateau, on se complète bien et il y a un vrai respect envers nos deux skippers qui sont des gens incroyables. Je suis fier d’avoir été choisi par eux et j’espère, au travers de mon investissement pendant le trophée, tout donner pour leur montrer qu’ils ont bien fait de me faire confiance. Dans ce binôme de direction, Charles est plus en charge de la navigation et de la stratégie, Franck plus sur la conduite du bateau. Je n‘ai aucune pression, ils me font confiance et ils sont à l’écoute, ce sont des marins extraordinaires au travers de leur passé sportif.  
 
L’équipage part dans quel état d’esprit, car c’est particulier de courir après un adversaire virtuel qu’est un chronomètre ?
On part pour s’amuser, à tout prix, c’est la base de l’exercice du record, il y a une part de plaisir et heureusement qu’elle est là. Mais il y aussi une part de difficulté avec un environnement extrême. Ce sont des bateaux qui génèrent une prise de risque, on sait qu’un trimaran peut se retourner, il y a eu des précédents. C’est une mixité entre plaisir et appréhension, une certaine difficulté liée au milieu car on va naviguer dans les mers du sud. Et c'est un tour du monde, chose que je n’ai jamais vécu jusqu’au au bout, donc beaucoup d’intensité. Et puis ne l'oublions pas il y a un record à battre en moins de 40 jours (NDLR : 40 jours 23 heures 30 minutes et 30 secondes pour parcourir 21760 miles marins, soit 40300 km entre Ouessant et le Cap Lizard, au sud de l’Angleterre, record établi par Idec de Francis Joyon et son équipage le 26 janvier 2017).

Mais j’ai aussi une frustration à enlever de ma tête car il y a 4 ans mon expérience avait été écourtée. (Lors du dernier Vendée Globe Morgan à bord de l’Imoca Safran avait dû abandonner après 18 jours de course avant le Cap de Bonne-Espérance, son bateau subissant une avarie de safran alors qu’il était en 4è position.)

 

Quand tu t’engages au large sur l’océan, ça génère beaucoup d’émotionnel et d’incertitude. Cette émotion-là est addictive, je l’ai vécu sur le dernier Vendée Globe

Morgan Lagravière

 
Pause à bord de la bête

Quand tu passeras dans l’océan Indien, tu auras le temps d’avoir une pensée pour une île qui se trouvera à bâbord du bateau, celle où tu es né, La Réunion ?
C’est sûr que j’y penserai. Pour l’instant je suis juste allé dans cette zone quand j’étais gamin pour faire des croisières familiales. Là, il y aura un petit pincement au cœur, même si on va plutôt passer très rapidement et à une distance significative de l’île, assez loin à vol d’oiseau. Pour l’anecdote j’ai donné au team les coordonnées de Gabriel Jean-Albert, mon premier coach à Saint-Gilles, juste en cas de soucis technique. Avec Gabriel on a vécu mes premiers championnats de France de 4.20 à Quiberon quand j’avais 13 ans, puis de nombreux tours de France à la Voile avec le bateau ville du Port-Région Réunion. Puis j’ai quitté mon île pour préparer les Jeux de Pékin et j’ai fait mon chemin depuis. Mais tout va me rappeler La Réunion, les gens que j’ai côtoyé, ce que j’ai vécu gamin puis adolescent et les leçons de voile au club, toutes ces choses qui me permettent aujourd’hui d'être dans cet équipage de haut niveau et de vivre des choses extraordinaires.


 

Pourquoi ont-ils choisi Morgan ?

Les réponses de Franck Cammas et Charles Caudrelier, les deux skippers du maxi trimaran Edmond de Rothschild.
Charles Caudrelier à gauche et Franck Cammas à droite à la colonne de winch

Franck Cammas
Morgan a de bonnes sensations à la barre d’un bateau, le vent, le bruit, ses appuis sur les pieds et à force de barrer, il progresse, il aime beaucoup ça et a progressé plus que les autres. De plus il pratique d’autres disciplines, du kite à foil ou du petit catamaran. Toute cette expérience accumulée fait qu’il devient un très bon barreur. Il devra être performant dans son rôle à bord, mais aussi facile à vivre, motivé et positif pendant quarante jours et ce n’est pas donné à tout le monde. Mais pas de soucis, Morgan coche toutes les cases et il a une forte motivation pour monter à bord avec nous, il faut être passionné par ça et il l’est, ça fait un an et demi qu’il navigue avec nous et on a déja gagné des courses ensemble.

Charles Caudrelier
Morgan, on sait qu’il est extrêmement rapide quand on lui confie la barre d’un bateau. On le connaissait grâce au Figaro (il a été champion de France de course au large en 2013) et on a tout de suite pensé à lui. Il a le don de la glisse en lui, du plus petit au plus gros support. De plus, quand il nous a rejoints, il était hyper enthousiaste et on a pu vérifier que ses qualités de barreur sont énormes. A bord et c’est important, c’est aussi un bon camarade, on a passé plein de bons moments ensemble, on a plein d’affinités, il est jeune et c’est sympa pour lui de vivre cette aventure du trophée Jules Verne.

Regardez le reportage Outre-mer la 1ère :