Contrairement à ce que son nom peut laisser entendre, Le Grandiose est une salle parisienne toute petite, située en sous-sol. Une trentaine de spectateurs, et c’est complet. C’est ici que Fred d’Or a donné deux représentations de son nouveau spectacle, ce mois-ci, avant de le présenter sur une plus grande scène parisienne, à la rentrée.
Pendant plus d’une heure, les Antilles ont scène ouverte. La musique est omniprésente : Kassav, beaucoup, mais aussi Zouk Machine et Philippe Lavil en duo avec Jocelyne Béroard. La nourriture également, dont Fred d’Or énumère avec gourmandise les plats traditionnels, jusqu’au caca bœuf, "qui ne donne pas envie, mais quand on commence, on ne peut plus s’arrêter". C’est probablement le seul spectacle où le comédien demande un planteur pour s’éclaircir la voix. À coup sûr, le seul show où vous entendrez cité le nom du nouveau ministre des Outre-mer, Jean-François Carenco, au détour d’une plaisanterie.
Une maman rock n' roll
Voilà pour l’ambiance. Mais le personnage principal, c’est la maman de Fredo. Une femme originaire de Marie-Galante, exigeante et très attentive à l’avenir de ses enfants. Un personnage "rock n’ roll" qui adore faire la fête et raconter des blagues. Une femme battante qui l’a élevé "en Normandie, mais selon les règles de sa culture guadeloupéenne". Le spectacle débute par la remise du diplôme qui couronne la fin des études en Langues et cultures créoles. Sa mère peut être fière de son Frédo, bientôt, il sera un petit notable local, médecin comme l’oncle Henri, ou instituteur comme le tonton Célestin.
Un spectacle hommage aux Antilles et à sa mère, "même si parfois les surprises de la vie font que les enfants ne correspondent peut-être pas à ce qu’elle attendait au départ, mais elle les aime malgré tout", explique Fred d’Or, de son vrai nom Frédéric Brûlé. Le choix de son prénom aurait pu donner une petite indication du chamboulement qui allait advenir. Né en 1979, il a reçu le même prénom que celui que portait le cyclone qui a ravagé la Guadeloupe cette année-là.
"J’écris, je joue, je vends du rire"
Car Frédéric Brûlé ne sera pas un notable, ou en tout cas pas très longtemps. Il a d’abord enseigné le français, en Chine notamment. Ne maitrisant pas le mandarin, il a dû jouer avec son corps pour se faire comprendre. Alors, il s’est dit que, "quitte à enseigner à travers le show, autant faire de ma vie un show". Plus jeune, il a joué le rôle de professeur de catéchisme. Mais il se prenait plutôt pour Whoopy Goldberg dans le film Sister act.
Depuis huit ans, de "rebondissements, en envies d’arrêter et de reprendre", il a pris le chemin de la scène et de l’humour. "J’écris, je joue, je vends du rire", résume-t-il. Voilà une belle profession. Mais par-dessus tout, Fred d’Or fait ce qu’il aime. "Le zouk, maman et moi" était pour lui comme une évidence. Un spectacle à son image. "Ce spectacle, tu l’écris depuis enfant, se dit-il à haute voix. Depuis enfant, tu as envie de parler de ta culture. Une culture d’un Français métropolitain élevé par une mère marie-galantaise. C’est ça, ton spectacle. Sois vrai."
La recette est imparable. Pendant plus d’une heure, Fred d’Or chante, il danse, il s’amuse, et cela se voit : "Je ne me suis jamais autant amusé sur scène qu’avec ce spectacle. Je m’éclate. Je viens jouer, je sais que c’est un travail, mais c’est que du fun."
"Aux Antilles, on manque de référents LGBTQI+ qui s’assument"
Fred d’Or ambitionne de jouer son spectacle à la rentrée dans une belle salle parisienne, puis en province. Et surtout aux Antilles.
Parce que c’est l’histoire de ma mère, c’est l’histoire du zouk. Mais c’est aussi une histoire dans laquelle vont se reconnaitre énormément de Guadeloupéennes, Guadeloupéens, LGBTQI+. Et je pense qu’aux Antilles, on manque de référents qui s’assument.
Fred d'Or
Il y a quelques jours, Soa de Muse a donné une visibilité inédite aux queers antillais, en atteignant la finale de la première édition du concours Drag Race France. "Il faut des porte-drapeaux et il faut que des personnes qui se sentent capables de le porter le fassent pour que ces enfants n’aient pas l’enfance que beaucoup ont et ont eue, et puissent exister sans avoir à s’exiler ou à être reniés par leur famille ou à ne pas donner de nouvelles à leur famille ou à avoir une double vie. Je pense que c’est important."
Derrière le rire, réside un message sociétal. Derrière les talons qu’il porte pour incarner sa mère aussi : "Moi, je suis heureux comme je suis et je porte des talons. Si toi, tu veux porter autre chose, porte autre chose, mais vit ta vie, elle est courte. On est des papillons, tout est éphémère, demain, on se sera envolé, donc c’est maintenant qu’il faut vivre."
Juste avant le spectacle, sa mère l’a appelé pour lui dire "Bravo, tu es beau avec ton maquillage".
Et le public était ravi. Comme Maryse, Martiniquaise venue passer quelques jours à Paris : "C’était magnifique. Il m’a bien fait rire. Il a bien décrit la vie aux Antilles. C’était génial. Il faut y aller."
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