Lectures de vacances (2) : "Thelonious", du Martiniquais Roland Brival, et "Une colère noire", de l’Afro-Américain Ta-Nehisi Coates

A droite, le romancier et musicien martiniquais Roland Brival (photo C. Hélie).
Chaque semaine, durant ces vacances qui débutent pour beaucoup, La1ere.fr vous propose des ouvrages à lire, et leurs auteurs à découvrir. Aujourd’hui, "Thelonious", du Martiniquais Roland Brival, et "Une colère noire. Lettre à mon fils", de l’écrivain afro-américain Ta-Nehisi Coates.

"Thelonious"

Dans "Thelonious" (éditions Gallimard), le romancier et musicien martiniquais Roland Brival se penche sur les dernières années du pianiste de jazz afro-américain, isolé, reclus dans sa chambre et son intériorité. Son père aurait voulu pour ce virtuose une carrière de  professeur ou d’avocat. Mais il deviendra l’un des plus grands pianistes de jazz au monde, fascinant ses auditeurs par son génie créateur et ses improvisations parfois déconcertantes pour les non initiés.

L'histoire est tragique. Le pianiste américain passa en effet les dernières années de sa vie quasiment isolé et presque autiste. "Ses yeux ne contemplaient qu'un espace improbable, un territoire enfoui au plus profond de lui-même, une savane brûlée dont l'étendue béante n'offrait aucune prise au bout de l'horizon", écrit Roland Brival. Il décrypte de façon presque chirurgicale les mécanismes à l'oeuvre dans l'esprit torturé de Monk, sa vision musicale du monde qui la rend si particulière, unique. On ressent dans le livre la formidable empathie qui a saisi l'écrivain dans sa narration, d'un artiste à un autre, de musicien à musicien, même si ces deux-là ne se sont jamais connus.

Le livre est parsemé de belles illustrations en noir et blanc, réalisées à la craie par le dessinateur Bruno Liance. Des croquis de Thelonious Monk en situation dans l'univers dense, intimiste et fabuleux du jazz. Le prodigieux pianiste, né en octobre 1917, s'est éteint en février 1982.
"Thelonious", par Roland Brival (illustrations Bruno Liance) - éditions Gallimard, 160 pages, 23 euros.
 

"Une colère noire. Lettre à mon fils"

L’ouvrage du journaliste et écrivain américain Ta-Nehisi Coates, "Between the World and Me", paru en français sous le titre "Une colère noire. Lettre à mon fils" (éditions Autrement) en 2016, a obtenu un succès considérable aux Etats-Unis où il a reçu le prestigieux National Book Award. Dans le livre, Ta-Nehisi Coates s’adresse à son fils. Et le met en garde, car il craint pour sa vie. Littéralement. En égrenant la liste, partielle, de ces Noirs qui ont été tués par la police américaine au cours des années, dont Prince Jones, un de ses amis d’université à Washington. Sans justification ni mobile apparent. Instillant la peur et le ressentiment au sein d’une communauté qui a toujours été victime de violences. "Voilà ce que je voudrais que tu saches", écrit Coates. "En Amérique, la destruction du corps noir est une tradition – un héritage." La cohésion de la nation, qui s’imagine blanche, est fondée sur cette destruction et cette domination.
 
Au final, "Une colère noire" exprime le dilemme récurrent des Etats-Unis, qui peinent encore à appréhender et regarder en face toutes les dimensions de leur histoire. Le livre de Ta-Nehisi Coates est d’une franchise absolue, parfois brutale. Le constat est pessimiste, mais en appuyant là où ça fait mal, il oblige l’Amérique à affronter son passé, et son présent, pour mieux se projeter dans l’avenir. Et de ce livre formidable, dorénavant accessible en français, l’Hexagone ferait bien aussi de s’inspirer.
"Une colère noire. Lettre à mon fils", par Ta-Nehisi Coates - éditions Autrement, 205 pages, 17 euros.
 

Extrait (sur l’esclavage)
"C’est la nuit sans fin. Et cette nuit a occupé la plus grande part de notre histoire. N’oublie jamais que nous avons été esclaves dans ce pays plus longtemps que nous n’avons été libres. N’oublie jamais que pendant deux cent cinquante ans les personnes noires naissaient enchaînées – des générations entières, suivies par d’autres générations, n’ont rien connu d’autre que les chaînes. (…) Les esclaves n’ont pas été des pavés sur ta route, et leurs vies n’ont pas été des chapitres de ton histoire rédemptrice. C’étaient des gens, transformés en carburant pour alimenter la machine américaine. L’esclavage n’était pas destiné à s’arrêter, et il est immoral de prétendre que notre situation présente – peu importe à quel point elle s’est améliorée – représente une rédemption pour des individus qui n’ont jamais demandé la gloire posthume et inaccessible de mourir pour leurs enfants. (…) Tu dois faire la paix avec le chaos, mais tu ne peux pas mentir. Tu ne peux pas oublier tout ce qu’ils nous ont pris et la façon dont ils ont transfiguré nos corps pour en faire du sucre, du tabac, du coton et de l’or."