Chaque année, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) mesure le niveau du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie en France. Même si depuis 1990 "l’acceptation des minorités a globalement progressé", pour la deuxième année consécutive, le niveau de tolérance des Français baisse.
La CNCDH établit une échelle de 0 à 100 pour mesurer les préjugés des Français. Plus le chiffre est proche de 100, plus le niveau de tolérance est élevé. En 2023, l’indice de tolérance s’établit à 62, soit trois points de moins qu’en 2022.
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Parmi les minorités, les Noirs sont perçus comme étant les plus intégrés
"La population noire a globalement une meilleure image dans l’opinion que les autres minorités, en particulier celles d’origine maghrébine", notent les auteurs de l’étude. Comment l’expliquer ? "Tout se passe comme si, parmi les nombreux stéréotypes racistes hérités de la colonisation, dominaient ceux voyant les Noirs comme 'de grands enfants', naïfs, primitifs, mais pas dangereux", suppose la CNCDH. Au contraire, le racisme visant les populations maghrébines ou arabes se fonderait sur l’association, dans l'imaginaire collectif, entre pratique de l’Islam et terrorisme.
8% des sondés considèrent que les Antillais forment "un groupe à part". Ils sont 14,5% à le penser pour les Noirs. Si ces chiffres sont élevés, ils sont à mettre en relation avec ceux concernant d’autres minorités : 32% des sondés estiment que les Musulmans forment un groupe à part. Le pourcentage grimpe à 63% pour les Roms, de loin la minorité perçue comme étant la moins intégrée.
Malgré ces différences de perception, les préjugés sont corrélés : une personne intolérante aura tendance à l’être pour l’ensemble des minorités. "Une personne rejetant fortement les immigrés sera plus encline à exprimer par ailleurs une opinion misogyne, antisémite, anti-islam, anti-communautariste, à se dire raciste ou à considérer qu’il existe des races supérieures à d’autres", détaille le rapport.
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Les fondements du racisme évoluent
L’idée qu’il existe des races supérieures à d’autres est "en net recul" dans l’opinion. Les justifications mises en avant par les personnes déclarant des opinions racistes ne se fondent plus sur de pseudo-arguments biologistes, mais culturels. "Actuellement, le racisme est souvent associé à un sentiment de culpabilité et s’entoure de justifications, précisent les auteurs. La plus commune d’entre elles consiste à invoquer l’incapacité supposée des immigrés et des étrangers à se conformer aux normes et aux valeurs de la société d’accueil. Le racisme revêt ainsi une dimension culturelle et identitaire."
Cet argument explique peut-être la différence de perception entre les Antillais et les Noirs : "Les Antilles sont vues comme faisant partie de la France, tandis que la catégorie 'Noirs' est plus hétérogène, susceptible d’évoquer des populations plus lointaines et moins intégrées", avance la CNCDH.
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La majorité des sondés estiment que l’on ne parle "pas assez" des mémoires de l’esclavage
Seules 8% des personnes interrogées considèrent que l’on parle "trop" de la traite et de l’esclavage. Près d’une sur deux considèrent qu’on n’en parle "pas assez" et 40% qu’on en parle "juste ce qu’il faut".
Tout en restant prudents, car le panel de sondés est réduit, la CNCDH note que "les sondés les plus enclins à partager [une] vision plutôt négative des Antillais et des commémorations de la traite et de l’esclavage sont ceux dont les parents et/ou les grands-parents viennent d’Afrique noire, reflétant peut-être des divisions au sein de la minorité noire en France et des tensions entre africanité et créolité".
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Les discriminations sont persistantes
15% des personnes interrogées par la CNCDH considèrent qu’il n’est "pas" ou "peu" grave de refuser le mariage d’un de ses enfants avec une personne noire. Le rapport cite par ailleurs une autre enquête, mené par le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) et l’Ipsos en 2023.
Ce baromètre révèle que "91% des personnes s’identifiant comme noires ou d’ascendance noire interrogées en France métropolitaine" se disaient victimes de discrimination raciale au quotidien. "Plus de la moitié des personnes interrogées ont d’ailleurs ressenti une difficulté à décrocher un entretien d’embauche en raison de leur couleur de peau. Elles sont quasi autant à dénoncer des injustices dans leurs études, un refus d’embauche ou des difficultés lors de l’achat ou de la location d’un logement pour ce même motif", précise l’étude.
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Les actes racistes sont très largement sous-estimés et peu punis
Les données disponibles reposent exclusivement sur les signalements, or la majorité des victimes ne portent pas plainte. Ni les mains courantes, ni les plaintes directement adressées aux procureurs ne sont comptabilisées. L’invisibilisation des actes racistes non déclarés, qui échappent à la justice, a un nom : on parle de "chiffre noir". Le niveau d'invisibilisation varie d'un territoire à l'autre. En 2023, le CRAN estimait que 32% des victimes portaient plainte dans l'Hexagone, contre seulement 9% en Outre-mer.
Même dans les cas où les victimes se signalent, les suites sont rares. Selon les dernières données, qui datent de 2022, les parquets ont mis en cause 6 607 personnes seulement pour des infractions à caractère raciste. L’affaire a été classée sans suite dans 55% des cas.