Les habitants de la plupart des zones tropicales risquent d’être exposés à des niveaux de chaleur dangereux. Et d’ici 2100, ils y seront confrontés "la plupart des jours d'une année typique", et ce même si l'objectif de l’accord de Paris de limiter à 2°C le réchauffement planétaire est tenu.
Dans le cas où cet objectif ne serait pas atteint, les zones tropicales pourraient alors faire face à de longues périodes de températures "cauchemardesques". Telles sont les conclusions d’une étude publiée le 25 août dernier dans le journal Communications Earth & Environment (en anglais), au sein de la revue scientifique Nature.
L'étude est fondée sur une échelle américaine, le "Heat Index" ou indice de chaleur qui allie température et humidité. Elle définit comme "dangereuses" pour les humains les températures ressenties à partir de 39,4°C, et "extrêmement dangereuses" à partir de 51°C.
"Pour les îles, c'est ambigu"
Si les régions les plus exposées restent le sous-continent indien, la péninsule arabique et l'Afrique sub-saharienne, qu’en est-il des régions ultramarines (hors Saint-Pierre-et-Miquelon) ?
Nous avons posé la question à deux climatologues : Benjamin Sultan, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) qui travaille sur le changement climatique et ses impacts, notamment en Afrique ; et Ali Bel Madani, ingénieur à la direction interrégionale Antilles-Guyane de Météo France, et chercheur associé au centre national de recherches météorologiques de Toulouse.
Ce dernier ne veut pas "extrapoler les résultats de cette étude sur les Outre-mer". Il explique que pour l’instant, les modèles météorologiques utilisés sont faits à l’échelle planétaire, "où les petites îles sont inexistantes".
"On sait aussi que le réchauffement global est plus important sur les terres que sur les océans, ajoute-t-il. Or pour les îles, c’est ambigu : ce sont des masses terrestres entourées d’eau." Ces îles bénéficient de ce que Benjamin Sultan appelle les "effets de la mer" : "Grâce aux vents, les températures diurnes sont moins fortes que lorsque l’on est sur le continent."
"Personne ne sera épargné"
Néanmoins, le directeur de recherches estime que, même avec ces effets rafraîchissants de la mer, "personne ne sera épargné" par ces canicules dangereuses. "On peut avoir des événements comme ça y compris dans les Outre-mer, où il faudra adapter son mode de vie."
Les deux reconnaissent que les chaleurs extrêmes ne sont pas pour l’instant considérées comme un problème par les populations d’Outre-mer, plus préoccupées par les risques de tempêtes ou d’inondations, comme le montrent les actualités publiées sur Outre-mer La 1ère :
"Les températures sont stables, chaudes certes, mais les gens sont habitués, explique Ali Bel Madani. Mais en réalité, de plus en plus d’études pointent le fait que les températures vont augmenter tellement, en moyenne et en extrême, qu’on pourrait s’approcher des limites d’adaptabilité du corps humain."
Plus précisément la limite du corps humain à transpirer. C’est en effet l’évaporation de la transpiration qui permet au corps de se rafraîchir quand il fait chaud. Or, si l’humidité et la température augmentent, la transpiration ne pourra plus s'évaporer normalement et les humains n’arriveront donc plus à réguler leur température. Avec pour conséquence des problèmes de santé chez les personnes fragiles, et l’impossibilité de travailler en extérieur.
Le cas particulier de la Guyane
Si Ali Bel Madani ne se prononce pas sur les îles, il pointe un cas particulier : la Guyane. Même si les projections météo sur ce territoire mérite "des précisions avec des études territoriales plus fines, du fait de la façade maritime", il explique que c’est le seul territoire d’Outre-mer situé sur le continent au sein du bassin amazonien, et qu’il est relativement grand (environ la taille du Portugal) pour être intégré dans les projections de l’étude américaine.
"Selon les résultats de cet article, le seuil de dangerosité serait dépassé à la Guyane une bonne partie de l’année à l’horizon 2100, et un nombre de non négligeable dans l’année à l’horizon 2050", analyse l’ingénieur de Météo France.
"Cet article ne conclut pas à des conditions extrêmement dangereuses sur la Guyane mais le seuil de dangerosité peut entraîner des problèmes pour la santé ainsi que des problèmes pour réaliser des travaux à l’extérieur. C’est préoccupant", reconnaît-il.
Il met en parallèle cette étude américaine avec les recherches réalisées par Météo France : "En Guyane quand il fait très chaud, il a tendance à faire moins humide, détaille-t-il. C’est très important, car cette relation inverse entre deux paramètres forment une protection contre les pressions trop importantes sur l’organisme. Mais est-ce que ce sera suffisant avec l’augmentation des températures ? C’est l’enjeu des travaux en cours."
"Cela nous touche tous et dès maintenant"
D’autres études sont menées actuellement sur les autres territoires d’Outre-mer. "C’est relativement récent à Météo France, reconnaît Ali Bel Madani. Il y a un effort de régionalisation des projections du réchauffement climatique aux Antilles, dans l’Océan indien et dans le Pacifique." Affaire à suivre donc concernant les îles françaises.
Si les deux climatologues émettent quelques réserves par rapport à la méthodologie utilisée et aux données sur l’humidité, ils constatent que l’article va dans le sens des autres études réalisées sur le sujet.
"Je pense que les gens doivent prendre conscience que même si c’est dans longtemps, cela nous touche tous et dès maintenant", assène Ali Bel Madani.