"Libres de couleur" de Frédéric Régent : "Cet ouvrage s'intéresse à une population très méconnue dans les sociétés esclavagistes"

Avec "Libres de couleur", l’historien Frédéric Régent confirme son ample connaissance du fait colonial et de l’esclavage. Il met en lumière une catégorie de population relativement négligée par l’Histoire, pourtant gage de nuance dans la présentation du monde colonial habituellement saisi dans ses deux pôles, maître blanc et esclave noir.

J'ai voulu décrypter le processus de fabrication du blanc (...). Cet ouvrage va vous permettre de mieux comprendre votre histoire familiale

Frédéric Régent

Libres et noirs de peau, tels sont les libres de couleur. Affranchis ou descendants d’affranchis, noirs ou métis, ils n’ont pas la même place que leurs coreligionnaires blancs. Les sociétés esclavagistes qui se développent à la faveur de la colonisation de l’époque moderne sont perçues en noir et blanc, les maîtres blancs exploitant les esclaves noirs. Or la réalité se révèle plus nuancée. Un nombre croissant d’esclaves est affranchi. Leurs descendants sont libres d’entreprendre, de commercer, libres également de posséder des esclaves. Victimes du préjugé de couleur, ils constituent malgré tout une population à part. Le constat qu’en fait Alexis de Tocqueville, au début du XIXe siècle, est implacable : "Vous pouvez rendre un Nègre libre, mais vous ne sauriez faire qu’il ne soit pas vis-à-vis de l’Européen dans la position d’un étranger". Des premiers affranchissements dans les colonies d’Amérique latine au XVIe siècle, jusqu’à la veille des abolitions aux Antilles ou aux États-Unis, Frédéric Régent analyse, à l’appui d’archives et de données jamais encore réunies, la condition de millions de descendants d’esclaves. Une enquête inédite.

Libres de couleur, de l’historien Frédéric Régent

L'auteur

Maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Frédéric Régent est membre de l’Institut d’Histoire moderne et contemporaine, de l’Institut d’Histoire de la Révolution française et président du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Il est notamment l’auteur de La France et ses esclaves (2007).

Lecture d’un extrait

À la première galerie était les blancs, à la seconde les mulâtres, à la troisième les nègres. Un Américain près duquel j'étais placé me fit observer que les dignités du semblant exigeaient ces classifications. Cependant mes yeux s'étaient portés sur la galerie des mulâtres, j'ai aperçu une jeune femme d'une éclatante beauté et dont le teint d'une parfaite blancheur annonçait le plus pur sang d'Europe. Cette femme, me répondit-il, est de couleur, comment de couleur ? Elle est plus blanche qu'un lys. Elle est de couleur reprit-il froidement. La tradition du pays établit son origine et tout le monde sait qu'elle compte un mulâtre parmi ses aïeux. Au même instant je distinguais dans la galerie des blancs, un visage à moitié noir. Je demandais l'explication de ce nouveau phénomène ; l'Américain me répondit : la personne qui attire en ce moment votre attention est de couleur blanche. Comment blanche ? Son teint est celui des mulâtres ! Elle est blanche répliqua-t-il, la tradition du pays constate que le sang qui coule dans ses veines est espagnol.