Mal-logement en Outre-mer : une stratégie insuffisante de l’Etat, selon la Fondation Abbé Pierre

Un logement insalubre à La Réunion
Dans son "27ème rapport sur l'état du mal-logement en France 2022", un document très détaillé de 366 pages publié fin janvier, la Fondation Abbé Pierre accorde une large place aux Outre-mer et fustige les insuffisances du gouvernement dans ces territoires.

D’après la Fondation, la métaphore de la "bombe à retardement" est toujours pertinente pour caractériser l’état du logement en France. Quelques chiffres : le nombre de sans domiciles a doublé depuis 2012 et s’élève aujourd’hui à 300.000 personnes au moins ; au 6 décembre 2021, près de 4000 personnes ont appelé le 115 mais n’ont pas pu être hébergées en raison de l’absence de places d’urgence disponibles. Ce chiffre est en hausse de plus de 30% par rapport à l’été 2021 ; la production de logements sociaux est en baisse constante depuis le début du quinquennat, à un niveau qui n’a jamais été aussi bas depuis 15 ans (87.000 agréments en 2020) ; le prix des logements n’a fait que croître depuis 20 ans pour atteindre une hausse de plus de 154%, etc.

Dans les Outre-mer, l’habitat insalubre concernerait près de 110.000 logements sur un parc total de près de 900.000 logements (soit 12%), selon les données du ministère concerné. Plus largement, le rapport de la Fondation Abbé Pierre (FAP) souligne que "les habitants en Outre-mer sont particulièrement touchés par les défauts graves de confort (existence d’un vis-à-vis à moins de 10 mètres, problèmes d’étanchéité et d’isolation des murs, du toit ou du sol, infiltrations ou inondations…) : en Guadeloupe, 31% des logements comptent un défaut grave de confort et 10% en cumulent au moins deux, comme en Martinique ; en Guyane, 47% des ménages sont confrontés à au moins un défaut grave de leur logement."


L’insalubrité est multiforme, selon la Fondation. Elle recouvre par exemple la surpopulation, la promiscuité, la présence d’animaux nuisibles (rats, cafards), l’humidité, les nuisances de l’environnement, les squats… L’habitat insalubre se caractérise également par les abris en bois et/ou en tôle, sans éléments de confort, qui n’ont jamais été réhabilités, par exemple en Guadeloupe, à La Réunion et en Martinique. Ces logements, si l’on peut dire, sont en général situés dans des zones rurales ou à risque naturel, et habités par des propriétaires âgés, qui ne disposent pas toujours d’un titre de propriété, avec de nombreux cas d’indivision foncière. Concernant la Guyane, "dans les bourgs et villages isolés, en général le long des fleuves, l’habitat traditionnel des "Noirs Marrons" ou des Amérindiens est essentiellement constitué de carbets ou de petites cases d’une pièce, en bois et couverts de tôles ondulées ou de paille, sans accès à l’eau, à l’électricité, ni aux réseaux d’évacuation des eaux usées et de ramassage des ordures", ajoute le document.

La Fondation déplore le financement insuffisant du logement dans les Outre-mer, d’autant que le taux de pauvreté y est de deux à cinq fois plus élevé qu’en France métropolitaine. "Le Plan logement Outre-mer (PLOM) qui s’achève bientôt (2019-2022), aura permis de livrer quelques 8000 logements sociaux par an dans les DROM alors qu’il s’était fixé un objectif de 10.000 et que la loi du 28 février 2017 de programmation relative à "l’égalité réelle Outre-mer" portait cet objectif annuel à 15.000 logements." La FAP précise que l’Union sociale pour l’habitat évalue à 100.000 le nombre de logements sociaux qui serait nécessaire sur l’ensemble de ces territoires pour répondre à la demande. "Le PLOM affiche un objectif d’amélioration de 150.000 logements en 10 ans (15.000 par an), mais celui-ci n’a jamais été traduit dans les budgets, que ce soit dans les lois de finances pour 2019 (9523), 2020 (9350) ou encore moins pour 2022 (7500)."


En outre, le rapport relève que le PLOM 2019-2022 ne mentionne aucunement les objectifs de la stratégie nationale du Logement d’abord, alors que certaines régions, en particulier Mayotte et la Guyane, comptent un grand nombre de personnes sans domicile. "À contre-courant même de cette stratégie, le Plan prévoit la construction d’hébergements temporaires en Guyane et à Mayotte pour accueillir transitoirement les occupants des bidonvilles dont les modalités d’évacuation et de destruction ont été accélérées par l’article 197 de la loi ELAN (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ndlr). La seule mesure de ce Plan en faveur de l’accès au logement des publics les plus précaires est une mission d’évaluation des freins au développement des pensions de famille."

Pour pallier à ces nombreuses insuffisances, la Fondation réclame notamment une loi de programmation pluriannuelle de relance de la production HLM, dotée d’un cadre normatif stable, favorable et précis. Les collectivités locales ont un rôle majeur à jouer, reconnaît le rapport, mais c’est l’Etat qui doit fixer les objectifs nationaux, les priorités et les moyens dévolus. "La première loi de finances pour 2023 devra comprendre une loi de programmation pluriannuelle qui fixe les objectifs et octroie des moyens à la hauteur. L’objectif de production devrait être de 150.000 logements sociaux (…). Cet objectif métropolitain doit s’accompagner d’un objectif de 15.000 logements sociaux par an Outre-mer dont au moins un tiers de très sociaux, en augmentant la Ligne budgétaire unique (LBU).Par ailleurs, la FAP souhaite mobiliser les logements vacants en appliquant la taxe sur la vacance dans les départements d’Outre-mer et l’élargir à toutes les communes comprises dans une agglomération de plus de 50.000 habitants.