"La trouille"
En novembre 2015, avec trois compagnons, il a mis son projet à exécution : traverser à pied Kerguelen (un archipel de la taille de la Corse) de l'extrême nord à l'extrême sud, en un peu plus de trois semaines. C'est l'objet de ce livre, "Marcher à Kerguelen", qui est tout sauf le récit d'une aventure sportive dans lequel l'auteur se vanterait de ses performances et de sa victoire face à une nature hostile.Au contraire, François Garde décrit avec pudeur et sensibilité cette aventure intérieure, cette quête mystérieuse d'un ailleurs, d'un bout du monde dans lequel l'humain n'a pas sa place. Il confesse, au début de cette traversée ressentir une énorme trouille :
"Je me tiens au sud du monde, sur une terre inhabitée (...) Nous nous préparons à traverser un néant. En cet instant, deux sentiments se mêlent en moi : la joie, la joie pure d'être là, d'avoir réussi à triompher de tous les obstacles et de revenir ; et la trouille - non pas l'appréhension, la peur, l'inquiétude ou l'angoisse, mais la pétoche, une putain de trouille, une trouille veule, chaude et collante devant ce qui nous attend. Tant d'inconnues sont dissimulées dans ce relief"
La démesure de Kerguelen
Le récit qui suit est fait de moments de doutes, de "bonheur indicible", de plénitude et de souffrances, dans une nature à l'état brut, "inentamée, sans pylônes, sentiers ni clôtures". L'île nous ignore et n'a que faire de nous. Elle est. Nous passons. Je ne cherche en rien à triompher d'elle. Je m'éprouve à son rugueux contact, je rends hommage à sa pesante réalité. Dans la froidure et la pluie, à l'intersection des océans les plus rudes de la planète, Kerguelen reste étrangère aux ambitions des hommes, et aux miennes.
Tous ici de passage
Avec humilité, le marcheur n'oublie jamais que sur cette terre jamais domptée par l'homme, il n'est ici que de passage. "Insulaires de Kerguelen, nous ressentons notre identité comme provisoire". Et au milieu de ce décor rude et grandiose, l'ancien Administrateur supérieur cède définitivement la place à l'écrivain voyageur. François Garde évoque parfois la religion, des interrogations métaphysiques, s'interroge sur cette île "au sud du jardin l'Eden" :
Bien sur Kerguelen, cette île qui au fond n'existe pas, est un mirage. Depuis son découvreur, chacun s'y noie avec ce qu'il a apporté. Les espérances s'y fracassent, les rêves s'y dissipent, les ambitions y font naufrage, et l'on en ressort hébétés, avec les yeux vides de ceux qui ont croisé le regard de la Gorgone.
Quand j'étais responsable de ce territoire, je devais faire semblant, et prolonger l'illusion sous les lambris des ministères. Maintenant que je ne suis rien qu'un passant, je peux dire que l'île est nue. Kerguelen est une page blanche, sur laquelle nul ne parvint jamais à rien inscrire.
Un voyage sans fin
Finalement, au terme de ces 25 jours de marche et de ce récit sublime, François Garde et ses compagnons de voyage ont relevé leur défi. "Quelque chose s'est accompli et m'a libéré. Il m'est désormais possible de prendre congé". Mais le lecteur, comme tous ceux qui ont eu la chance d'aborder Kerguelen, n'a qu'une envie : aller à son tour vagabonder à Kerguelen, aux confins du monde.
Marcher à Kerguelen
Marcher à Kerguelen, de François Garde, est paru aux éditions Gallimard (19,50 euros). Vous pouvez en lire quelques passages en cliquant ici. Autre ouvrage à lire ou relire sur Kerguelen, celui de Jean-Paul Kauffmann, écrit en 1993, "L'arche des Kerguelen".