Matière à penser : CyclOpe optimiste pour l'industrie calédonienne du nickel

Philippe Chalmin, fondateur du cercle des économistes CyclOpe et historien des matières premières
Dans ses prévisions, le cercle cyclOpe de Philippe Chalmin et Yves Jégourel table sur une hausse de 5 % du cours moyen du nickel en 2022. Une bonne nouvelle pour les trois grandes usines calédoniennes, à condition de produire suffisamment de métal, pour l'acier et les batteries électriques.

Après les flambées des prix des matières premières en 2021, l'année 2022 s'annonce incertaine, entre les tensions géopolitiques en Ukraine, l'appétit de la Chine pour les importations de métaux et de nickel, et la "certitude" d'une poursuite de la crise des conteneurs, indiquent les prévisions annuelles du cercle CyclOpe parues jeudi.

En 2021, l'ensemble des matières premières analysées par le CyclOpe, baromètre des marchés mondiaux des matières premières, ont flambé, à l'exception des cours de la viande de porc qui ont reculé en Chine et en Europe.

Nickel

Pour le nickel, en moyenne, la hausse des prix a été de 27 % l’an dernier. "L’acier inoxydable a porté la demande de nickel, encore plus que les batteries électriques", commente Philippe Chalmin, le grand gourou des matières premières. Voilà de quoi rassurer pour l'avenir deux des trois usines de la Nouvelle-Calédonie. KNS et la SLN produisent l’alliage haute teneur de l’inox.

"Nos prévisions envisagent une hausse de 5% pour le nickel en 2022, avec un cours moyen à 20.000 dollars la tonne. La demande pour les batteries mettra encore du temps à se concrétiser et n’oublions pas les nouvelles capacités de production en Indonésie".

Néanmoins, "un tel prix est bon pour la Nouvelle-Calédonie", poursuit Philippe Chalmin, professeur à l'université Paris-Dauphine, qui préside CyclOpe. Et pour le moment, le nickel s'est stabilisé autour de 22.600 dollars la tonne, aprés avoir atteint 24.000 dollars il y a quelques jours.

" A ce cours de 20.000 dollars la tonne, et même à 17.000 dollars, à condition de produire suffisamment, les usines du Territoire peuvent respirer." 

Philippe Chalmin à Outre-mer La 1ère

 

Energie

Côté énergie, si en 2021, les cours du pétrole ont "pansé leurs plaies", ceux du gaz ont "quadruplé en moyenne", avec un indice CyclOpe qui a gagné 397 points. "Actuellement, le gaz naturel vaut deux fois plus cher que le pétrole en équivalence thermique" relève pour l'AFP Philippe Chalmin.

Gaz

Les explications sont initialement climatiques: une sécheresse en Chine a affecté sa production hydroélectrique, l'Europe a manqué de vent pour sa production éolienne. Mais ce sont surtout les tensions entre l'Europe et la Russie autour du gazoduc Nordstream II et l'augmentation des prix du GNL (gaz naturel liquiéfié) en Asie qui sont à l'origine de la flambée des prix du gaz, souligne le rapport.

Russie

Sur le gaz, "il ne faut pas s'attendre, même à moyen terme aux prix qui prévalaient en 2019, et ce d'autant plus que la transition énergétique se poursuivra" indique le CyclOpe, en pointant la Russie, "experte dans le grand jeu diplomatique" qui a "joué l'arme du gaz" aussi bien vis-à-vis "de l'Europe" que de "la Chine", son allié.

"Si nous avions le pire, si la Russie envahissait l'Ukraine, le baril de pétrole exploserait le plafond, et il y aurait une pénurie de gaz à prévoir en Europe" relève M. Chalmin.

Flambée

L'an passé, la hausse moyenne de l'indicateur global du CyclOpe couvrant l'évolution de la moyenne des prix d'une quarantaine de matières premières stratégiques (de l'acier au zyrconium, en passant par aluminium, cacao, café, charbon, fer, gaz, laine, or ou soja), était de 49 points.

Soit plus du double de ce que les analystes de CyclOpe eux-mêmes avaient prévu en début d'année (+19 points). Une hausse inégalée "depuis la crise financière de 2007", a indiqué M. Chalmin.

"Grande panne logistique" 

"Personne n'avait vu venir la crise énergétique actuelle, débutée par le gaz", qui a coïncidé avec une "grande panne logistique" mondiale et une flambée "d'un tiers" des prix agricoles et alimentaires mondiaux, par rapport à 2020, a-t-il détaillé.

Globalement pour 2022, hors événement géopolitique ou climatique majeur, "et en prenant pour hypothèse un atterrissage en douceur de la crise du Covid", le CyclOpe s'attend à un retour à la normale, voire à des baisses de prix sur certains produits en raison notamment du ralentissement de la croissance chinoise. Au total, il prévoit que la hausse des prix des matières premières sera limitée à 4% en moyenne.

Mais il s'agit d'une "année pleine d'incertitudes", a averti M. Chalmin, et "un peu plus que les autres années".

Côté agricole et alimentaire, le CyclOpe souligne que "les risques d'instabilité sociale sont redevenus une réalité" avec l'envolée des prix alimentaires. Mais pour les grands pays importateurs (Algérie, Egypte, Nigeria, Indonésie), la facture de 2021 a pu être financée par l'augmentation des recettes liées au pétrole et surtout au gaz.

Les fortes hausses des denrées alimentaires l'an passé sont dues essentiellement à la Chine, devenue en 2021 le premier importateur mondial de céréales en augmentant notamment de 152% ses achats de maïs, ce qui en retour a fait grimper les cours.

Concernant la crise du fret maritime, "aucun signe d'amélioration" n'est discerné. "Au contraire, les goulots d'étranglement se renforcent avec l'expansion d'Omicron", note l'analyse.

"Début janvier 2022, 11,5 millions de conteneurs étaient en attente dans les 13 plus importants ports de la planète", selon le rapport, qui prévoit que les "taux de fret des conteneurs resteront élevés" en 2022, avec des délais qui "ne commenceront à se réduire que si la pandémie régresse fortement en Asie". Le coût du fret maritime, principale ombre au tableau pour les Territoires français d'Outre-mer.

Twitter @Alain_Jeannin