A Mayotte, les exactions de villageois à l'encontre d'immigrés se multiplient

A Mayotte, des habitants de l'île chassent eux-mêmes les immigrés, détruisant parfois leurs maisons et cherchant à les reconduire à la frontière. Ces tensions communautaires augmentent alors que l'île connait sa sixième semaine de crise. 
Depuis plusieurs semaines, en marge du mouvement de lutte contre l'insécurité et alors que le nouveau préfet a pris ses fonctions vendredi, des habitants de Mayotte chassent eux-mêmes les immigrés. Ils les "incitent" à se rendre à la gendarmerie, effectuent des rondes "préventives" dans les villages, organisent des manifestations anti-étrangers, les interceptent sur les plages où ils débarquent ou encore détruisent leurs habitations, a appris l'AFP.


"Rondes" et "décasages"

Les premiers faits identifiés remontent à mi-mars, un des membres du collectif des habitants du Nord ayant affirmé à l'AFP effectuer des "rondes" afin "de démanteler les groupes d'étrangers, Comoriens et Africains" présumés en situation irrégulière sur le territoire. Ce collectif demanderait à ces immigrés de préparer leurs bagages puis les amènerait sans violence, affirme-t-il, à la gendarmerie la plus proche "en fourgonnette".

Le 24 mars, les exactions qui se sont produites dans le week-end au nord et au sud de l'île ont été qualifiées pour la première fois par le parquet de Mamoudzou de "décasages", des expulsions illégales d'étrangers, plus ou moins violentes, souvent suivies de la destruction de leurs habitations. La gendarmerie a confirmé que des manifestations anti-étrangers avaient eu lieu ce même week-end et le procureur de la République, Camille Miansoni, a déclaré que des habitations avaient été brûlées et détruites en marge de ces marches.


Des familles "dans la nature"

Ces opérations se multiplient ces derniers jours. Dans la nuit de mardi à jeudi, des décasages "proches du banditisme et de la délinquance", avec des vols crapuleux sous la menace d'armes commis par une dizaine de personnes au visage masqué, ont eu lieu à Kani-Kéli (sud de l'île), a confirmé Camille Miansoni à l'AFP.
Les familles ont été expulsées et les habitations détruites en partie. Neuf de ces "décasés" ont formulé une demande de reconduite à la frontière volontaire et les autres personnes "sont dans la nature, peut-être au sens littéral du terme (...), ce qui est problématique quand on sait qu'il y a des enfants", a déploré le procureur.

Jeudi, une quarantaine de villageois d'une commune du sud de l'île ont retenu des clandestins alors qu'ils débarquaient sur une plage par bateau, a affirmé la gendarmerie à l'AFP. "Ce genre de pratique, ça n'existe pas dans un département", a réagi mi-mars la ministre des Outre-mer Annick Girardin dans une déclaration à l'AFP. "J'ai pris des engagements en matière de sécurité (...) J'invite les habitants à laisser les forces de l'ordre faire leur travail", a-t-elle insisté.


Des faits similaires en 2016

Ces actions sont similaires à celles de 2016 lorsque, de janvier à juin, des collectifs d'habitants de diverses communes de Mayotte avaient chassé des Comoriens, en situation irrégulière ou non, de leur domicile.
Près d'un millier d'étrangers auraient ainsi été délogés, selon l'antenne locale de la Cimade, association d'aide aux migrants. Plus de 500 de ces "expulsés" s'étaient alors réfugiés sur la place principale de Mamoudzou (chef-lieu) durant plus de deux semaines, dormant à même le sol.

"Les gens n'osent plus sortir, se déplacer, (...) ils ont peur (...) des contrôles aux barrages et des interpellations massives (...), même (les étrangers) qui sont en situation régulière", explique Solène Dia, de la Cimade. La chargée de projet attend les réponses que formulera le nouveau préfet, notamment sur la situation des étrangers n'ayant pu honorer leurs rendez-vous en raison de la fermeture du service des migrations et de l'intégration de la préfecture depuis "deux à trois semaines".