À lui seul, le centre de rétention des étrangers de Mayotte a eu plus de personnes enfermées en 2022 que tous les centres de l’Hexagone réunis. C’est ce que révèlent ce mercredi plusieurs associations (Groupe SOS Solidarités, Forum réfugiés, France terre d’asile, La Cimade et Solidarité Mayotte) dans leur rapport annuel sur les CRA-LRA.
Ces acronymes désignent les centres et locaux de rétention administrative, à savoir les endroits où sont enfermés des étrangers en attendant que leur cas soit examiné et qu'ils soient libérés ou expulsés.
En 2022 donc, 15.922 personnes ont été enfermées en CRA dans l’Hexagone, contre 27.643 en Outre-mer, dont 26.020 dans celui de Mayotte. Voici le détail par centre ultramarin (à noter que ne sont pas comptées celles qui sont transférées vers un autre CRA, pour éviter de les comptabiliser deux fois) :
Toujours selon ce rapport, il y a eu 94 enfants enfermés dans les centres de rétention hexagonaux et 2.905 enfants dans celui de Mayotte.
"Enfermées et expulsées le lendemain"
Pourquoi un tel écart entre Mayotte et le reste de la France ? Avec l’opération Wuambushu et l’expulsion de Comoriens en situation irrégulière, on pense qu’il y a une "pression migratoire" sur l’île. Mais pour Paul Chiron, chargé du soutien et des actions juridiques de La Cimade, ce sont moins les flux migratoires que le régime dérogatoire mis en place par l’État dans les Outre-mer qui fait grimper les chiffres. Ce régime "permet d’interpeller beaucoup plus facilement" les personnes "et ensuite de les placer en rétention".
Il ajoute que "l’expulsion est également beaucoup plus facile" : alors que dans l’Hexagone, déposer un recours auprès du tribunal contre une obligation de quitter le territoire (OQTF) permet de suspendre cette expulsion, dans les Outre-mer ce recours n’est pas suspensif.
"C’est une caractéristique des CRA d’Outre-mer, notamment à Mayotte mais aussi en Guyane ou en Guadeloupe, liste-t-il. On voit des personnes qui sont enfermées la veille et expulser directement le lendemain, souvent sans possibilité d’exercer leurs droits." "Ou sans avoir pu saisir ou voir un juge", précise le rapport.
Résultat : "On peut voir des personnes qui sont établies en France depuis de nombreuses années", ou "gravement malades qui vont être expulsées alors que le droit l’interdit", affirme Paul Chiron, cela à cause de ce régime dérogatoire dans les Outre-mer.
Des Français expulsés par erreur
Le rapport annuel fait d’ailleurs état de situations ubuesques : des personnes de citoyenneté française "ont été placées en rétention, malgré la transmission de leur CNI [carte nationale d’identité, NDLR] au cours de la vérification. Pire encore, d’autres ont été placées en rétention, alors qu’elles avaient leur CNI française en main."
"Cette aberration a même conduit à l'éloignement vers les Comores d'au moins 7 de ces personnes [françaises]", dénonce le rapport, et ce à cause d’une "logique du chiffre" dans les Outre-mer et notamment à Mayotte.
En effet, Mayotte se distingue par son taux d’éloignement, euphémisme pour parler d’expulsion. Le rapport pointe dans l’Hexagone un recours banalisé à la rétention qui ne débouche que dans 40% des cas environ à une expulsion, alors que dans le 101e département français, ce taux grimpe à 76%.
La part d'expulsions varie d’un département d’Outre-mer à l’autre comme le montre ce graphique (encore une fois ne sont pas comptabilisés les transferts vers un autre CRA) :
"L’administration n’examine pas"
Chaque département a d’ailleurs ses caractéristiques. En Guadeloupe, les nationalités haïtienne et dominiquaise représentent les deux tiers des personnes enfermées. Près de la moitié l’ont été à la suite d’un contrôle de police, alors qu’en Guyane, elles ont été interpellées pour deux tiers d’entre elles à la frontière.
Là encore, les Haïtiens sont majoritaires (450 soit 37,3% des étrangers placés), suivis des Brésiliens (27,1%). Des Haïtiens qui ont pour autant très peu de risques d’être expulsés : "Vu la crise qu’il y a en ce moment à Haïti, il n’y a eu une seule expulsion en 2022", explique le représentant de La Cimade.
La raison ? "L’administration n’examine pas réellement la situation des personnes" d’après Paul Chiron, et elle enferme donc des gens qu’elle ne peut pas expulser, ce qui donne un taux d'éloignement relativement faible, proche de celui de l’Hexagone.
Et puis il y a le cas atypique de La Réunion : plus petit CRA de France, il n’a vu passer entre ses murs que six étrangers en 2022, 12 si on compte les transferts vers un autre centre. En l’occurrence, le rapport pointe du doigt des transferts "express vers Mayotte", sachant que plus de la moitié des personnes enfermées sont comoriennes. "En organisant ces transferts vers le CRA de Mayotte, la préfecture contourne le régime de droit commun de la rétention applicable à La Réunion", dénonce le rapport.
À noter qu’il existe des locaux de rétention administrative (LRA) en Martinique et à Saint-Martin, mais que le ministère de l’Intérieur ne communique pas de données sur les LRA d’Outre-mer ou d’Hexagone.