Menace nord-coréenne: « Un conflit militaire aurait des conséquences pour la Nouvelle-Calédonie »

Missiles balistiques pendant le défilé pour le 105e anniversaire du fondateur de la République populaire de Corée du Nord
Le ton et les menaces ne cessent de monter entre les dirigeants américains et nord-coréens. En cas de conflit généralisé dans la péninsule, des intérêts calédoniens dans le nickel mais aussi la desserte aérienne Paris-Nouméa seraient concernés.
Le ton et les menaces ne cessent de monter entre les dirigeants américains et nord-coréens. Faut-il craindre un véritable conflit armé et nucléaire entre la Corée du Nord et les Etats-Unis ? L'escale au Japon entre la France et la Nouvelle-Calédonie, mais aussi les intérêts économiques calédoniens dans le nickel avec la Chine et la Corée du Sud sont-ils menacés ? Juliette Morillot, historienne et spécialiste de la péninsule coréenne, co-auteure de La Corée du Nord en 100 questions (éditions Tallandier) répond à ces questions.

Après un défilé militaire géant à Pyongyang et la présentation de nouveaux missiles balistiques, la Corée du nord est-elle définitivement une puissance nucléaire ? Ces missiles peuvent-ils atteindre toute la région Pacifique ?

Juliette Morillot : Ils maîtrisent l’arme atomique. La Corée du Nord a procédé à cinq essais nucléaires depuis 2006. Elle est donc devenue une puissance nucléaire. Elle prépare un sixième essai. Le pays a fait d’importants progrès sur la technologie balistique. Il possède des missiles à courte portée, moyenne portée et longue portée. Kim Jong-un vient d’en faire étalage pendant la parade militaire géante, samedi. Mais on ne sait pas de façon certaine s’ils ont mis au point des missiles intercontinentaux capables de toucher la côte ouest des Etats-Unis ou encore l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Et donc potentiellement la Nouvelle-Calédonie même si ce n’est pas une cible. En revanche, Pyongyang dispose de missiles longues portées qui peuvent sans doute déjà atteindre les bases américaines de Guam au nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais ils ne maitrisent pas encore la précision, le guidage. Ce n’est qu’une question de temps, ils sont en passe d’acquérir ce pouvoir de nuisance.
 
La desserte aérienne entre la Nouvelle-Calédonie et la France passe principalement par Tokyo ou Osaka et beaucoup plus rarement par Séoul. En cas de conflit militaire dans la péninsule coréenne, ces escales, ces aéroports seraient-ils des cibles potentielles ?

Un conflit militaire aurait des conséquences pour la desserte aérienne de la Nouvelle-Calédonie. Il est évident, en cas de guerre entre la Corée du Nord et les Etats-Unis qui impliquerait aussi les alliés sud-coréens et japonais de Washington, que les grands aéroports internationaux de Tokyo, Osaka et Séoul seraient vraisemblablement visés par des missiles ou même par l’artillerie de Pyongyang. L’aéroport international de Séoul se trouve à moins de 60 kilomètres de la zone démilitarisée (DMZ) derrière laquelle des centaines de batteries d’artillerie, de canons sont braqués sur la capitale du Sud et sa plate-forme aéroportuaire internationale. Avec l’artillerie dont ils disposent, ils n’auraient même pas besoin d’utiliser des missiles pour faire des dégâts considérables.
Pour Tokyo et pour Osaka, mais aussi pour les bases américaines au Japon, les Nord-coréens utiliseraient des missiles de moyenne portée. Ils ont un vrai pouvoir de destruction y compris contre les aéroports japonais qui sont des cibles.. Il faut bien comprendre que la Corée du Nord est capable d’atteindre plusieurs objectifs stratégiques dans la région ou plus loin dans le Pacifique. Il ne faut pas non plus oublier que 30.000 militaires américains assurent la sécurité de la Corée du Sud, et notamment sur la grande base navale du port de Busan, face au Japon.

À 130 kilomètres à l’ouest de Busan, face au Japon toujours, il y a la zone franche industrielle de Gwangyang (GFEZ) où se trouve l’usine calédonienne et coréenne de nickel (SNNC-POSCO) qui produit du ferronickel à partir de minerais calédoniens importés. Cette grande zone industrielle comporte aussi des usines qui produisent des alliages pour l’aéronautique. Gwangyang est-elle une cible possible pour les militaires nord-coréens ?

Il est évident, selon moi, qu’une fois les objectifs militaires attaqués, les missiles nord-coréens s’en prendraient aux huit zones industrielles de la Corée du Sud et donc à la zone de Gwangyang. Il faut bien comprendre que la Corée du Sud, est constituée de 70 % de montagnes. S’il y avait une guerre, les zones urbaines et industrielles seraient frappées. La zone industrielle de Gwangyang – avec son usine calédonienne – fait face au Japon, ce serait sans doute une victime collatérale du conflit. Dans cette région en bordure de mer, nous sommes dans un mouchoir de poche industriel et humain avec en plus de nombreuses installations militaires.
La mer Jaune est un bras de mer de l'océan Pacifique qui sépare la Chine de la péninsule coréenne. C’est une zone importante pour le transport maritime des matières premières, cuivre philippin, charbon australien ou nickel calédonien. Si une guerre éclatait, quelles seraient les conséquences pour l’environnement maritime de ces régions ?

Si un conflit éclate, ce sera un cataclysme qui entraînera aussi la Chine et la Russie. Tout sera perturbé et le transport maritime des matières premières sera extrêmement fragilisé voir même interrompu. Les importations chinoise de minerais représentent des dizaines de fois le trafic du canal de Panama, alors imaginez une guerre maritime et sous-marine au large de la Corée, ce serait une catastrophe pour les économies des pays de la région, y compris pour leurs exportations de matières premières. Je n’en ai aucune preuve, je ne suis pas une spécialiste mais je ne serais pas étonnée que les primes de risque, les primes d’assurance du transport maritime aient déjà augmenté.
 
Une guerre entre la Corée du Nord et les Etats-Unis est-elle envisageable ?

La Corée du Nord n’attaquera pas la première mais elle est dores et déjà une menace nucléaire pour les Etats-Unis. Le plus imprévisible des deux dirigeants n’est pas Kim Jong-un, mais Donald Trump. Heureusement, je pense que le président américain est entouré de conseillers militaires qui le dissuaderont d’attaquer. La Corée du Nord a répété maintes fois qu'elle n'hésiterait pas à répliquer. L'arme nucléaire est l'assurance vie du régime communiste. Le 25 avril sera le jour de tous les dangers. Il marquera le 85e anniversaire de la fondation de l’armée populaire de la Corée du Nord et ce sera la date la plus probable d’un nouvel essai nucléaire nord-coréen. Il coïncidera avec l’arrivée de la flotte américaine annoncée par Donald Trump…

A Londres, le cours mondial du nickel au LME perd plus de 3 % à 9.410 dollars, son plus bas niveau depuis le début de l'année. Les incertitudes et les vives tensions géopolitiques en Asie, dans la péninsule coréenne, mais aussi la prochaine échéance électorale en France assombrissent l'horizon du marché mondial des métaux.