Une monographie consacrée à Aimé Césaire pose un nouveau regard sur l’œuvre du poète martiniquais

A droite, un extrait manuscrit du "Cahier d’un retour au pays natal" d'Aimé Césaire
L’un des principaux traducteurs d’Aimé Césaire en anglais, le professeur américain Albert James Arnold, vient de publier "Aimé Césaire, Genèse et Transformations d’une poétique". Un essai qui passe au crible la complexité de l’évolution littéraire de l’écrivain martiniquais.
"Aimé Césaire, Genèse et Transformations d’une poétique", essai écrit en français par le professeur américain Albert James Arnold, a été publié… par l’éditeur allemand Königshausen & Neumann, preuve s’il en est de l’engouement international que continue de susciter l’œuvre aux multiples facettes de l’écrivain martiniquais, qui n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets.

Professeur émérite de français à l’université de Virginie, Albert James Arnold est un spécialiste de littérature antillaise et de l’œuvre d’Aimé Césaire en particulier. Il a notamment établi, avec son compatriote Clayton Eshleman, une édition revue et intégrale bilingue français-anglais des textes poétiques de l'écrivain en 2017. Son nouveau livre, "Aimé Césaire, Genèse et Transformations d’une poétique", part de recherches personnelles, enrichies et complétées, de travaux édités par le CNRS en 2014. Jeune universitaire, Albert James Arnold avait rencontré Césaire en 1970 (voir plus bas), et n’a jamais cessé d’approfondir son œuvre depuis lors.
 
"Le temps de l'écriture de ce livre m’a pris deux ans environ. Le temps de le méditer, analyser tous les éléments, et trouver les ressorts de la dynamique, un demi-siècle !", confie l’auteur à Outre-mer La 1ere. "Avec ces deux ouvrages (le précédent étant consacré à une histoire de la littérature antillaise, ndlr), je fais mes adieux à la recherche francophone. Je crois avoir dit tout ce que j'avais à dire... Et puis, j'ai 80 ans passés. Je compte sur la génération montante pour faire un sort à ces travaux. Pour me situer par rapport à Césaire, cela vous aidera de savoir que j'ai d'abord lu "Les Armes miraculeuses" dans l'édition de 1946. À l'époque j'étais surtout ouvert au surréalisme. J'ai saisi que ce recueil était l'œuvre d'un surréaliste, mais avec une différence." 

Dans son essai, Albert James Arnold revient en détail non seulement sur les écrits, mais également sur le parcours personnel d’Aimé Césaire. Du Lycée Schoelcher en Martinique à la rue d’Ulm à Paris, de son voyage en Croatie où il commence à élaborer "Le Cahier" à son retour à Fort-de-France et son bref séjour en Haïti, de l’Assemblée nationale au premier Congrès international des écrivains et artistes noirs, l’universitaire américain décortique méticuleusement à la fois l’itinéraire de l’homme et la construction de l’œuvre, intimement liés. Son approche, originale, est à la fois biographique et analytique tout en restant accessible.
 

J'ai compris alors que le pan politique de l'oeuvre de Césaire, que l'on prend encore aujourd'hui pour l'essentiel de son engagement, n'en est qu'une parenthèse.

A. James Arnold

 
"Lors de la création de notre édition génétique de 2013 au CNRS, j'ai trouvé chez Césaire de multiples allusions métaphoriques aux dieux antiques d'Égypte et du Moyen Orient", précise Albert James Arnold. "Quand j'ai entrepris de tracer la courbe de la poétique de Césaire, la religion comparée dont l’anthropologue James George Frazer est le pionnier m'a servi de fil conducteur. J'y ai trouvé aussi, surtout dans "Le Cahier" de 1939, la trace du "Déclin de l'Occident" d’Oswald Spengler. J'ai compris alors que le pan politique de l'oeuvre de Césaire, que l'on prend encore aujourd'hui pour l'essentiel de son engagement, n'en est qu'une parenthèse. Je fais ressortir, dans les derniers chapitres de mon livre, le regret que Césaire a exprimé, notamment au romancier guadeloupéen Daniel Maximin, d'avoir sacrifié sa veine poétique à la politique. C'est dans ce contexte que j'ai lu "Moi, laminaire..." (le dernier recueil poétique de Césaire, paru en 1982, ndlr)."
 

A. James Arnold évoque sa rencontre avec Aimé Césaire en 1970

"Pendant un voyage à la Martinique, j'ai pu avoir un long entretien avec Césaire, chez lui, par l'intermédiaire d'une de ses élèves de lycée. Je ne savais vraiment pas à quoi, ni à qui, m'attendre ce dimanche de juillet 1970. Aimé Césaire m'a reçu dans le salon de sa maison dont l'adresse à cette époque était Kilomètre 2, route de la Redoute, si je ne me trompe. Il savait que j'étais un jeune universitaire américain qui s'intéressait à sa poésie. Aimé Césaire m'a reçu avec cette même politesse courtoise dont d'autres ont parlé. Il a répondu pendant plus d'une heure à mes questions, qui devaient être banales, vu mon manque d'expérience. La réédition de "La Tragédie du roi Christophe" venait de sortir. Il m'en a dédicacé un exemplaire. Le détail de nos échanges d'alors m'échappe aujourd'hui. Surtout, je suis sorti de ce premier entretien résolu à mieux connaître ce poète si fort et si mystérieux. Comme vous le savez, j'y ai passé un demi-siècle de recherches qui m'ont beaucoup apporté. Jusqu'au Prix Nobel accordé à Derek Walcott en 1992 (écrivain originaire de l’île de Sainte-Lucie, ndlr), c'était la rencontre la plus importante de ma jeune carrière."

"Aimé Césaire, Genèse et Transformations d’une poétique", par Albert James Arnold – éditions Königshausen & Neumann, Allemagne, 345 pages.