Décédé en 1901 et enterré au cimetière des Batignolles, il aura donc fallu plus de 110 ans pour que Severiano de Heredia obtienne un minimum de reconnaissance. « Le premier maire noir de Paris puis ministre de la République française a été renié et relégué pendant longtemps parmi les oubliés de l’histoire. Nous sommes là pour sortir de cet oubli coupable », avait reconnu Anne Hidalgo lors de l’inauguration de la rue Severiano de Heredia. L’historien Paul Estrade, auteur d’une biographie de l’ex-maire*, avait déclaré à cette occasion :
Severiano de Heredia a été oublié parce que Noir. Sa tombe refermée, l’ex-ministre est aussitôt mis sous le boisseau dans la patrie qu’il avait choisie et servie de façon admirable. Lui l’étranger né aux colonies, lui l’étranger descendant d’esclave. La subite dégradation de son image, puis sa disparition totale, ont été la conséquence inéluctable des méfaits du racisme et du colonialisme. La République a été son tremplin, le colonialisme son tombeau. La ville de Paris s’honore de se reconnaître en lui.
Parcours singulier que celui de Severiano de Heredia. Né en novembre 1836 à La Havane (Cuba) dans une famille de « mulâtres libres », il arrive à Paris en 1845 en compagnie de sa mère adoptive, Madeleine Godefroy, épouse française de son « parrain » Ignacio Heredia y Campuzano, dont tout semble indiquer qu’il est en fait son père biologique. Le jeune Severiano termine brillamment ses études de rhétorique dans l’institution qui s’appelle alors le Collège Louis-le-Grand. Nous sommes en 1855.
Ambitieux et républicain
Rentier depuis le décès de son oncle en 1848, qui l’a laissé à l’abri du besoin, Severiano de Heredia entame une carrière de poète et de critique littéraire, avec un certain dilettantisme, et investit ses revenus dans l’immobilier. Il se marie en novembre 1868. Deux ans plus tard, il obtient la nationalité française. L’homme est ambitieux. Il se déclare républicain, partisan de « la décentralisation départementale et communale, de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et de l’instruction universelle. »En avril 1873, il est élu au Conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes, dans le camp de la majorité républicaine radicale. C’est le seul « homme de couleur » au Conseil. En 1879, après six ans de mandat, c’est la consécration. Severiano de Heredia devient, à 42 ans, président du Conseil municipal de Paris. Soit l’équivalent du maire de Paris aujourd’hui. Il le demeurera pendant six mois, comme c’était l’usage à l’époque dans un système de rotation sophistiqué.
Poursuivant ses ambitions, bénéficiant d’amitiés politiques et dans la franc-maçonnerie, le Franco-cubain est élu député du XVIIe arrondissement de Paris en août 1881. Il assumera deux mandats. L’un sous l’étiquette de l’Union républicaine, le suivant sous celui de la Gauche radicale. Dans sa biographie, Paul Estrade note que la participation du député aux travaux parlementaires « a été prolixe et sans éclipses », en particulier sur les questions économiques et sociales ainsi que sur les questions budgétaires et municipales. Pour une courte période, de mai à décembre 1887, Severiano de Heredia sera également ministre des Travaux publics dans le cabinet de Maurice Rouvier. De retour sur les bancs de l’Assemblée, il terminera son mandat en novembre 1889.
Préjugés racistes
Pour autant, cette brillante carrière ne fut pas qu’un long fleuve tranquille. Les préjugés racistes se réveillèrent particulièrement lorsque Severiano de Heredia fut nommé ministre. On lui reprochait moins son action gouvernementale que sa couleur, et il fut affublé de qualificatifs tels que « le nègre du ministère », « nègre roublard aux grosses lippes », « ministre chocolat », et autres joyeusetés. Ce métis appelé aux plus hautes fonctions de l’administration dérangeait, et ce fut tout à son mérite d’avoir superbement ignoré ces quolibets, ouvrant la voie à d’autres grands serviteurs de l’Etat « de couleur », comme Félix Eboué ou Gaston Monnerville, entre autres.« Aujourd’hui, pas une rue, pas une salle, aucun lieu public ne porte son nom » déplorait en 2011 Paul Estrade dans son livre. « Pas de portrait de lui, même pas à l’Hôtel de Ville de Paris qui collectionne, pourtant, portraits et statues de ses anciens maires. »
Pas de trace de son existence dans la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, ni dans les ouvrages qui évoquent "ces Noirs qui ont fait la France", etc. Severiano de Heredia a été une victime - je ne sais si centrale ou collatérale - de la politique coloniale de la France en Afrique, et de la persistance d’un état d’esprit colonialiste chez nous, même après l’étape dite de la "décolonisation" .
La « rue Severiano de Heredia » a partiellement réparé ces oublis, mais il reste encore beaucoup à faire pour honorer non seulement sa mémoire, mais celle de tous les Noirs qui ont construit la nation et fait rayonner la République.
♦ À lire : Paul Estrade, « Severiano de Heredia. Ce mulâtre cubain que Paris fit ‘maire’, et la République, ministre » - Editions Les Indes savantes, juillet 2011, 162 pages, 21 euros.