Musique : la saga du producteur guadeloupéen Henri Debs

En plus 50 ans de carrière, le Guadeloupéen Henri Debs, décédé en 2013, s'était imposé comme le producteur incontournable de la musique antillaise qu'il a fait rayonner dans la Caraïbe et dans l'Hexagone. Après la fermeture du dernier magasin Debs à Paris ce mois-ci, place à la numérisation.
« Une personnalité totémique » (Claudy Siar), « un des artisans du rayonnement de la musique antillaise » (Victorin Lurel), « un producteur sans équivalent » (Michel d'Alexis des Aiglons). Il suffit d'évoquer le nom d'Henri Debs pour que les épithètes et les superlatifs fusent, sans que l'on soit dans l'excessif. Car en plus de cinquante ans de carrière, de 1959 à sa mort en 2013, Henri Debs a produit quasiment tout ce qui constitue l'essentiel de la musique antillaise. D'Al Lirvat en passant par Marius Cultier, Henri Guédon, les Aiglons, Les Vikings, Typical Combo, Malavoi, Francky Vincent ou encore Zouk Machine, etc...Soit plus de 6000 titres.
 

Exigence de qualité 

« C'était un bon producteur parce que c'était un très très bon musicien » aime à rappeler Michel d'Alexis, le fondateur du groupe Les Aiglons. Le label Henri Debs a connu avec eux son premier disque d'or en 1976 grâce à leur morceau Cuisse-là. Et leur collaboration débutée en 1974 s'est achevée en 1986 (ou plus tard selon d'autres versions). « Le son importait beaucoup pour lui. Il était très à cheval sur la qualité » reprend Michel d'Alexis. « Quand on a commencé à collaborer avec lui, il devait enregistrer l'orchestre en entier. Il n'y avait pas suffisamment de pistes pour procéder instruments par instruments. Des fois, on passait la nuit à son studio. Et l'on reprenait tant qu'il n'était pas satisfait. Du coup, on pouvait n'enregistrer qu'un seul morceau dans la nuit ». C'est cette exigence de qualité qui faisait la différence avec les autres producteurs. « Son amour du son » renchérit Max Séverin.

Avec Debs, Max Sévérin, dit Maxo, a constitué un duo musical qui a connu son heure de gloire. 25 disques au total. Avec son premier groupe, Henri Debs jouait de la guitare, du saxo, de la contrebasse. Là, il chantait. Les deux partageaient une vraie complicité filiale, et le même amour de la musique latine et jazz. Le soir tard, Henri n'hésitait pas à déranger Maxo pour lui demander son avis sur ses dernières  acquisitions rapportées des Etats-Unis ou sur ses choix d'enregistrements. « Sa passion, c'était de donner le vrai son à chaque orchestre ou à chaque artiste. Par exemple, Edith Lefel ne chantait pas comme Tanya Saint Val ou Jocelyne Beroard. Il savait en tenir compte en adaptant le volume de la batterie, surtout de la caisse claire, au timbre de la voix ». 
 

La légende veut que Henri Debs a débuté la production parce que Marcel Mavounzy (le frère du saxophoniste Robert Mavounzy) aurait refusé de le produire. C'est vrai. Mais surtout, il n'y avait de structures professionnelles à l'époque. Enfin, son amour pour la musique l'aurait sans doute conduit au même résultat (« Il y avait deux choses dont on pouvait parler avec mon père, du lever au coucher du soleil, c'est de musique et de religion » dixit Riko, son fils). Il est vrai qu’Henri Debs s’est produit avec une bonne partie du gratin antillais. Et qu’il fit découvrir d’autres musiques caribéennes comme le calypso, le merengue ou bien le compas. Musicien, producteur, Debs s'était donc aussi improvisé ingénieur du son. Formé au contact des techniciens qu'il rencontrait lors de ses virées aux Etats-Unis. D'où il rapportait aussi le matériel dernier cri. Les premiers 16 pistes, puis 32 pour la prise de son, le mixage : un véritable homme-orchestre.
 

Bâtir son empire

Dans cette famille guadeloupéenne d'origine libanaise, la musique n'était pas une tradition. Cela n'a pas empêché Henri, le troisième des dix enfants Debs, de bâtir son empire, le label Henri Debs, et quatre magasins en Guadeloupe (tous fermés aujourd'hui), aidé par sa femme Rose-Marie et son frère Philippe. Puis, au mitan des années 60, il élargit son rayonnement en aidant son frère Georges (Jojo) à ouvrir un magasin en Martinique. Et aussi à produire avec GD Productions (La Perfecta, Malavoi, Kassav, Jacob Desvarieux, Patrick Saint-Eloi, Simon Jurad, etc...). C'est ainsi qu'à ses débuts, Kassav a signé chez Georges, puisque Henri n'en voulait pas… Maxo : « Il n'a pas crû en Kassav, car  à leur début, ils jouaient surtout de la musique de rue. Et son autre erreur, disait-il, est de ne pas avoir produit non plus Gilles Floro ». Des divergences de points de vue ont opposé les deux frères. Cependant, le weekend, c'est quand même en Guadeloupe dans le studio d'Henri que les artistes de Jojo allaient enregistrer.

A Paris, un autre frère, Jean Debs a ouvert son propre magasin, Debs Music, en 1979. Lui ne s'occupait que de distribution. Pour Jean et son fils David, Henri Debs n'était qu'un fournisseur. Il n'empêche. Pendant ses quarante ans d'existence, ce magasin a participé au rayonnement de la marque Debs. Et vendredi 31 juillet, lorsqu'il mettra définitivement la clé sous la porte, victime comme tant d'autres disquaires, de la digitalisation du métier, il n'y aura plus aucune enseigne Debs aux Antilles comme dans l'Hexagone.

Toutefois, à la mort de son père en 2013, son fils unique, Riko, a repris en main la distribution numérique. Sous le label Henri Debs et fils, il a remasterisé tous les titres, à nouveau disponibles sur les différentes plateformes. « C'est un fonds que l'on doit pouvoir retrouver dans 50 ans » explique-t-il. « C'est un travail de mémoire, le souci du respect du travail de mon père et du patrimoine guadeloupéen et antillais ».