Nouvelle-Calédonie : à deux semaines du référendum, une partie de l’électorat Kanak s’interroge

Sur le bord de la route, à Yaté, dans le sud de la Nouvelle-Calédonie
A deux semaines du référendum sur la souveraineté en Nouvelle-Calédonie, les sondages donnent le «Non» à l’indépendance largement en tête. La campagne officielle débute ce lundi. Reportage à Yaté et Ouvéa, deux fiefs indépendantistes.
 
Sur la route de Yaté, à l’extrême sud de la Nouvelle-Calédonie, le drapeau du FLNKS est partout. Dans cette commune qui vote traditionnellement pour les formations indépendantistes, le drapeau-symbole est accroché sur les arbres, les poteaux, devant les maisons. Mais à deux semaines du référendum sur la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, le 4 novembre prochain, chez les Kanak de Yaté, certains confient leur indécision. Pour eux, le vote « Oui » n’est pas une certitude.

Une jeune femme kanak relativise l’omniprésence des drapeaux indépendantistes qui ornent la commune. « C’est une manière de revendiquer notre identité, c’est un symbole. Mais je ne sais pas encore si je vais voter « Oui » le 4 novembre. Et nous sommes nombreux dans ce cas ». Elle raconte que dans les tribus les gens parlent énormément de ce référendum et s’interrogent sur les conséquences du vote pour l’indépendance :
 

 L’indépendance c’est quoi ? Quelles seront les conséquences ? Moi, je ne sais pas et je suis inquiète. 


"Prendre notre destin en main"

A 40 minutes d'avion de la grande terre, sur l’île d’Ouvéa, où l’électorat indépendantiste est traditionnellement très nombreux, Hipveto Boucko, estime qu’au contraire, le FLNKS a mis en place un projet très précis pour l’après-référendum, en cas de victoire du « Oui ». «Les non-indépendantistes, eux, ne proposent rien de concret  pour l’après-référendum. Le FLNKS est en avance. Il est temps de prendre notre destin en main », explique Hipveto. « Quoi qu’il arrive, tous les habitants de ce pays sont condamnés à vivre ensemble. On parle beaucoup de « destin commun », mais il faut donner un sens à ce terme. »
Drapeau corse associé au drapeau du FLNKS, dans le nord d'Ouvéa, en 2018.


Le Vanuatu, épouvantail ou modèle ?

Ces derniers mois, à l’approche de l'échéance référendaire, le cas du Vanuatu, archipel situé à 630 kilomètres au nord de la Nouvelle-Calédonie, a fait irruption dans la campagne. Indépendant depuis 1980, cet ex-condominium franco-britannique, à l'époque appelé « Nouvelles Hébrides », est cité comme contre-exemple par les partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France sur le thème : « Si on devient indépendant, nous serons aussi pauvres qu’au Vanuatu ».

En 2015, l'Etat a consacré 1,28 milliard d'euros (153 milliards de Francs Pacifique)  à la Nouvelle-Calédonie. Si la Nouvelle-Calédonie accédait à l'indépendance, la fin de "l'argent de la France" est une inquiétude, pas seulement chez les défenseurs du maintien de la Calédonie dans la France.

A Ouvéa, Hipveto Boucko estime qu’au contraire, le Vanuatu est un modèle de développement à suivre pour la Nouvelle-Calédonie :

Au Vanuatu, l’identité océanienne est une réalité : il y a davantage d’égalité, la terre est demeurée une valeur importante. La tradition qui veut que les Océaniens cultivent la terre est essentielle là-bas.

Nous, les Kanak, nous ne donnons pas au terme « richesse » le même sens qu’en France. La richesse n’est pas une valeur financière,  elle est avant-tout  culturelle, identitaire : c’est le respect des traditions. 

Dans ce domaine, le Vanuatu est un exemple à suivre.


- Hipveto Boucko

 

« Tous les Kanak doivent voter »

A Yaté, Honoré est lui aussi convaincu. Le 4 novembre, il votera « Oui » à l’indépendance.  Ce militant Palika estime que « Tous les Kanak doivent voter, et mettre un seul bulletin dans l’urne, le +oui+ ». Pour Honoré, qui a vécu et participé aux affrontements des années 80, ce 4 novembre est un symbole : « C’est la première fois que la question nous est posée. Tout commence aujourd’hui. Le destin commun n’est possible que dans une Calédonie indépendante.» 

L’abstention

Mais chez les électeurs kanak, pour diverses raisons, certains ont prévu de s’abstenir. L’une des formations indépendantistes, le Parti Travailliste, a appelé à la non-participation au scrutin. Dans le nord d’Ouvéa, des appels,sont également lancés pour ne pas participer au vote : « Je ne participe pas au référendum bidon. Voter, c’est accepter la minorisation du peuple Kanak en Kanaky », peut-on lire sur fond de drapeau indépendantiste.


Il y a également ceux, comme Pierre, natif d’Ouvéa, qui n’en ont tout simplement rien à faire.  

Le référendum, je m'en fous. Je ne voterai pas. L'important c'est qu'on vive tous ensemble. La terre ne nous appartient pas. Nous appartenons à la terre. 

- Pierre, natif d'Ouvéa


Du côté de Yaté, chez les anciens, ceux qui ont participé aux affrontements des années 80, le doute est parfois perceptible. C’est le cas de ce sexagénaire, militant indépendantiste depuis toujours, qui confie qu’il a lui aussi choisi de ne pas voter  le 4 novembre. Il explique :

Les hommes politiques calédoniens de cette génération ne sont pas mûrs pour préparer l’avenir. Ils sont de la génération qui a connu les événements, les affrontements entre Kanak et Loyalistes. Ils ont toujours les mêmes réflexes, les mêmes postures. Pour l’instant c’est trop fragile. Ce sont les enfants d’aujourd’hui qui sauront construire l’avenir, les enfants des accords.

Ouvéa : annulations dans les hébergements hôteliers
L'approche du référendum a des conséquences sur la fréquentation hôtelière à Ouvéa. Le responsable d'un établissement confie qu'il a enregistré des annulations en série pour les semaines qui précèdent et suivent le 4 novembre, date du référendum sur la souveraineté. Selon lui, les visiteurs craignent des incidents dans cette île qui a connu en mai 1988 des événements dramatiques : l'attaque de la gendarmerie de Fayaoué ayant entraîné la mort de quatre gendarmes, la prise en otage de gendarmes retenus dans une grotte située au nord de l'île, puis l'assaut sanglant donné par les militaires qui a fait 21 morts, dont 19 chez les militants indépendantistes. Pourtant, à Ouvéa, aucune tension n'est jusqu'ici perceptible.