Octobre Rose : interview de Claudine Fagour, la présidente martiniquaise d’Amazones Paris

Claudine Fagour, entourée de membres d’Amazones Paris
Amazones Paris est une association de lutte contre le cancer du sein destinée aux ressortissantes d’Outre-mer. Accueillir les patientes, les conseiller, les orienter, les sortir de l’isolement, les aider à rechercher un logement ou encore accéder à de meilleurs soins, voilà l’objectif d’Amazones.

A l’occasion d’Octobre Rose, rencontre avec Claudine Fagour, la présidente martiniquaise d’Amazones Paris. Une Amazone debout et généreuse.

Pourriez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Claudine Fagour. Je suis née en Martinique et j’y ai vécu jusqu’à mes 18 ans. Je suis ensuite parti à Rennes pour poursuivre mes études. La vie a voulu que j’y rencontre mon mari. Je vis dans l’Hexagone depuis ma majorité.

Je suis amazone depuis 2007 et présidente de l’association Amazones Paris. C’est une association qui accompagne les femmes qui ont eu un cancer du sein, toutes sortes de cancers. C’est le cancer au féminin. L’association accompagne bien entendu l’entourage, les familles, car c’est très important.

Quelle est votre situation ?
J’ai eu un premier cancer du sein en 2007. J’ai eu un répit pendant 13 ans. Je me suis fait suivre. Puis il y a eu la découverte de ce facteur génétique qui accroît la probabilité d’avoir une récidive. A l’occasion d’un contrôle médical en octobre 2020 il y a eu la récidive qui a été diagnostiquée. Mais comme cela a été détecté suffisamment tôt les traitements ont été quand même allégés. Je n’ai pas fait de chimiothérapie ni de radiothérapie. J’ai eu trois opérations justement pour me mettre définitivement à l’abri.

Pour moi je suis encore dans le parcours de soin parce que la rémission est déclarée à peu près cinq ans après le diagnostic et cinq ans sans rechute. J’ai eu une première rémission qui a durée treize ans. Et là les médecins m’ont dit que c’était un nouveau un cancer du sein. Mais pour moi, je suis sur le bon chemin. Je ne vais pas attendre cinq années - cinq ans cela correspond à l’année 2025, pour dire que ça va. Je suis toujours dans le parcours de soin, dans la surveillance mais sur la bonne voie.

Comment avez-vous appris que vous aviez le cancer du sein la première fois ?
C’est un peu grâce à ma mère qui avait eu également un cancer du sein. Elle nous a montré à ma sœur comment faire l’autopalpation. A partir de nos 30 ans, on se palpait régulièrement. Ce qui m’a fait découvrir une petite boule. Elle nous a dit que si cette petite boule grossit et atteint la taille d’un noyau de pruneau alors il nous faudrait vraiment aller consulter. Je surveillais cette petite boule régulièrement et à un moment donné, je me suis dit non il me faut aller consulter. C’est de la sorte que le diagnostic est tombé.

Quelle a été votre réaction sur le moment ?
C’est terrible ! Rien ne nous prépare à recevoir une telle annonce. On descend très très bas. Il y a une phase on est complètement effondré car c’est quand même une maladie grave qui s’invite dans nos vies. Rien ne nous prépare à ça. On sait d’avance que les traitements sont lourds et longs avec des effets secondaires notamment quand on perd les cheveux par exemple. C’est quand même une marque de féminité qui est atteinte. Ce n’est pas évident, mais il faut quoiqu’il arrive tenir.

Et même quand on m’a annoncé la récidive, c’était l’incompréhension totale parce que j’avais le sentiment d’avoir fait tout ce qu’il fallait. Par ailleurs, j’ai toujours eu une bonne hygiène de vie. Je fais du sport régulièrement… Mais il y a quand même ce foutu facteur génétique qui brouille la donne. Mais bon j’ai quand réussit à m’en sortir. 

On tutoie la mort. On a parfois l’impression qu’on ne va pas s’en sortir puis petit à petit on se relève, on se bat. J’ai été effondrée mais suis remontée et maintenant debout. Heureusement désormais la population est de mieux en mieux informée sur les conséquences du traitement. 

Justement de quelle manière votre médecin vous l’a-t-il annoncé ? Y a-t-il mis les formes ?
Pour ma part cela s’est bien passé car je sais qu’il y a effectivement des cas de figures où cela s’est mal passé. C’est mon gynécologue qui me suivait depuis de longues années qui m’a donné rendez-vous. Quand elle m’a annoncé qu’elle souhaitait me voir, j’ai tout de suite compris qu’il y avait quelque chose. Dans son cabinet, elle m’a accueilli pendant une heure et m’a tout expliqué. Elle m’a également conseillé l’établissement dans lequel je devais me soigner. Vraiment cela s’est bien passé. Même l’oncologue qui me suivait aussi depuis longtemps a été très pédagogue. Il m’a consacré beaucoup de temps quasiment deux heures pour m’expliquer ce que j’avais. Il a échangé énormément avec ma mère. J’ai été très très bien accompagnée. C’est pour cela que toutes les femmes qui sont dans mon association reçoivent le même accueil, le même accompagnement on va dire pour accepter cette annonce qui est très dure. 

Quel a été le protocole pour vous ?
Pour chaque cancer il y a un protocole particulier. Il y a une équipe pluridisciplinaire qui se réunit et en fonction du résultat biologique - qui analyse les cellules, on vous donne un traitement particulier parce qu’il y a trois grands types de cancers. Il faut vraiment un traitement spécifique pour la pathologie. Dans mon cas cela a été la radiothérapie, la chimiothérapie et l’hormonothérapie pendant cinq ans. 

Qu’est-ce que la maladie a changé pour vous ?
Avant tout la maladie m’a appris que j’étais importante à mes yeux. Auparavant, je donnais plutôt la priorité à mes enfants, au travail. Après la maladie, j’ai vraiment voulu faire des choses que j’avais envie de faire depuis très longtemps, par exemple tout simplement danser, m’inscrire dans un groupe pour danser et je me trouvais toujours une excuse pour ne pas le faire. Après mes traitement, je me suis dit « allez je peux le faire ! » Je me suis plus occupée de moi et toute ma famille a pu en bénéficier car j’étais beaucoup mieux. Je prenais des moments pour moi, d’autres pour mon mari… Forcément ce nouvel équilibre a rejaillit positivement sur l’ensemble de ma famille.

Claudine Fagour


On peut parler de bouleversement ?
C’est un profond changement. On se recentre sur soi. On s’accorde du temps. C’est un bouleversement complet. J’ai coutume de dire que le cancer c’est un accélérateur de métamorphose parce que les gens changent. Là le changement a lieu dans une très courte durée. Après il a fallu que mon entourage s’habitue et que je fasse connaissance aussi avec la nouvelle personne que je suis devenue. 

Certaines personnes affirment qu’on ne change jamais mais qu’on évolue, qu’en pensez-vous ?
Pour ma part, je parle de changement parce que si vous posiez la question à mon mari qui m’est très proche il vous répondra que je ne suis pas la même personne. Oui, je suis encore Claudine mais le changement s’est opéré dans un laps de temps tellement court qu’on n’a pas le temps d’évoluer. On bascule dans quelqu’un d’autre car cela nous permet d’être nous-mêmes, de revenir au centre, d’être en phase avec nous-mêmes. C’est cette durée courte durant laquelle le changement se fait qui me fait dire que ce n’est pas vraiment une évolution mais plus un changement.

Quel est votre quotidien ?
Là actuellement, je me fais soigner. J’ai encore deux opérations à subir. Je rempli ma vie  par des moments pour moi. Je suis surtout présidente de l’association Amazones Paris. J’ai rencontré des femmes formidables. Avec l’équipe on accompagne celles qui résident en Ile-de-France mais également celles qui viennent des territoires ultramarins pour se faire soigner ici dans l’Hexagone. Mon quotidien est fait de mails pour organiser des ateliers, de rencontres avec les Amazones parce qu’on profite des ateliers mis en place. C’est super important d’agir, de soutenir, d’aider et d’accompagner ces femmes.

Aider d’autres femmes touchées par la maladie était une évidence ?
Depuis ma maladie cela a été très compliqué et difficile alors que j’étais ici accompagnée et entourée par ma famille. Imaginez-vous alors pour celles qui sont seules et isolées ! Je me suis demandée comment font toutes ces femmes qui viennent ici pour des soins, quittant leurs familles ? D’où l’idée de les aider. Donc oui j’organise des moments privilégiés pour moi mais il faut se donner à soi-même si on veut réellement donner aux Autres. 

Donner à autrui, c’est ma façon à moi de contribuer ; à aider toutes ces sœurs qui viennent d’Outre-mer qui parfois se retrouvent seules. On est je le répète un groupe de femmes résidentes en région parisienne qui voulons par-dessus tout leur donner et de notre personne et de notre temps. C’est cela la sororité. S’aider soi-même et aider les autres, c’est vraiment épanouissant.

Un dernier mot ?
Je scanderai la devise de l’association Amazones :« Amazones, c’est lanmou ! [Amazones, c’est l’amour] »