On a testé les boutiques de potions magiques antillaises à Paris

"Au bonheur des îles", boutique ésotérique.
A l’heure où les sorcières et la divination ont plus que jamais la cote, le marché de l’ésotérisme se porte bien. Potions magiques, feuillages, divination, rites vaudou et bain de démarrage, les produits magico-religieux antillais se trouvent sans difficulté dans la capitale.
Devant la boutique parisienne Asie, Antilles, Afrique de la rue du Faubourg du Temple, ça bouillonne d’activités. Pourtant sa devanture ne passe pas inaperçue. Si les bougies, sachets de feuillages et les lotions "magiques" entassés dans le magasin ne suffisent pas à indiquer au visiteur dans quel genre de lieu il vient de pénétrer, l’imposante pancarte floquée "Ésotérisme" qui surmonte le magasin s’en charge.
 

Trouver du réconfort

Assise sur un tabouret devant le comptoir, une casquette noire enfoncée sur la tête, une femme, d’origine martiniquaise, patiente. C’est la première fois qu’elle entre dans une boutique ésotérique. "En sortant de l’hôpital Saint-Louis, je suis passée devant", explique-t-elle avant d’ajouter : "Je crois que c’est une main invisible qui m’a guidée". Atteinte d’un cancer et loin de sa famille, cette croyante espère y trouver du réconfort.

Le "réconfort" apparaît quelques minutes plus tard sous la forme d’un paquet compact de bougies et d’une feuille d’instructions, sorte d’ordonnance à suivre, qu’un jeune vendeur lui tend.
Une poupée haïtienne protège la boutique.

Renouer avec le passé

Fortement ancrées dans la culture antillaise, les croyances magico-religieuses sont issues d'un étonnant mélange culturel. "C’est le résultat d’une sorte de syncrétisme”, décrypte Fabrice Desplan. Le sociologue guadeloupéen rattaché au GSRL-CNRS est spécialiste des croyances et religions dans les Caraïbes. Il est notamment l'auteur de Entre espérance et désespérance, pour enfin comprendre les Antilles (édition Empreintes temps présent). 

Il y a d'abord un héritage de l'esclavagisme flagrant. Toutes ces pratiques sont des réinterprétations de rites de tribus africaines. Il y a aussi l’héritage de rites hindou, après une forte vague d’immigration. Et à cela s’ajoute le catholicisme

-Fabrice Desplan, sociologue


Ces rites et objets spirituels sont des pratiques parfaitement intégrées aux Antilles et se retrouvent dans toutes les strates de la société, chez les plus pauvres comme les plus riches. Même si un certain tabou persiste. “C’est là que c’est un peu paradoxal, développe Fabrice Desplan. Il y a un côté je veux être rationnel mais en même temps je veux renouer avec mon identité passée '.

La boutique du guadeloupéen Pierre Bonan illustre cette impression. Au cœur du boulevard de la Villette, les pancartes d'Au bonheur des îles indiquent une "Parfumerie, librairie et produits spirituels". Si la devanture n’est pas des plus explicites, c’est parce que certains clients "n’assument pas forcément d’entrer", explique le propriétaire.
 

 Un jour, un client est entré, a vu qu’il y avait du monde et a fait demi-tour en disant qu’il s’était trompé d’endroit… Il est revenu plus tard, quand il n’y avait plus personne.

--Pierre Bonan


Dans le magasin, des rangés d’étagères débordent de breuvages "magiques" issus de toutes les Antilles et affichant des promesses plus alléchantes les unes que les autres. Les potions, principalement composées d'eaux de parfum, sont supposées servir à désenvoûter, trouver (et garder) l’amour, aider à la concentration, apaiser les douleurs, chercher du travail… Ici on trouve tout, ou presque.

Car dans la pièce flotte une odeur entêtante de fumée de cigarettes. Celles de Pierre Bonan. "Ah non, je n’ai pas de potions pour arrêter de fumer", répond-il, son habituel sourire mystérieux accroché aux lèvres, lorsqu'on lui pose la question.
 

Un public de plus en plus large

Quant aux potions pour faire du mal, "il y en a beaucoup", mais il n'accepte pas ce genre "de travaux" assure-t-il. Lui, il est là pour "aider les autres".

Pourtant un flacon frappé d'une tête de mort portant la mention glaçante de "Mort subite" trône sur une étagère. "C'est pour les travaux vaudou, mais ce n'est pas pour tuer des gens", se défend le GuadeloupéenEt lorsque l'on demande les ingrédients, "je ne les connais pas" répond-t-il. 

Regardez notre entretien avec Pierre Bonan : 

Selon lui, la magie, le vaudou intéressent un public de plus en plus large. "Pas que les Antillais, il y a aussi les Métropolitains. Je ne saurai pas expliquer pourquoi il y en a autant. Mais je le vois."

C’est vrai qu’il y a un véritable retour vers ces rites”, note Fabrice Desplan. Selon le sociologue, il y a déjà un côté “exotique” qui peut attirer. Mais au-delà de l’apparence, cela traduit une véritable demande sociale. “Les individus sont en quête de sens car ceux qui leur donnent traditionnellement les réponses, comme la religion, sont critiqués. De plus, ces rites sont un rappel à une identité, une culture profonde.” Et si le manque de données chiffrées ne permet pas d’affirmer qu’il y a une réelle augmentation des pratiques magico-religieuses, selon le chercheur, elles sont de plus en plus visibles dans la société et sont mieux acceptées. 
 
"Il y en a beaucoup qui veulent aller en Haïti pour s’initier à la magie,
témoigne Pierre Bonan. Peut-être que bientôt ça vous concernera aussi". Ce n'est pas vraiment prévu... Mais en attendant, on est quand même curieux alors on lui a demandé de nous faire une concoction pour obtenir une promotion au travail :