Oseberg en Norvège : le pétrole brut des Antilles-Guyane vient du froid [Décryptage]

La plate-forme pétrolière Oseberg en mer de Norvège
Les automobilistes antillais et guyanais roulent avec du pétrole norvégien. Le brut est raffiné par la SARA, la grande raffinerie martiniquaise des trois départements d’Outre-mer. A la pompe, l’essence des voitures vient donc de loin, de la plate-forme pétrolière Oseberg en mer de Norvège.
 
Dix fois par an, un pétrolier quitte le port de Stavenger en mer de Norvège pour rejoindre Fort-de-France. Il transporte des milliers de barils de pétrole. Du brent Oseberg, une grande plate-forme pétrolière en mer de Norvège.
 

Un millions de tonnes de pétrole

Les Antilles-Guyane sont de petits acteurs du marché mondial des pétroliers océaniques. Ce gigantesque marché pèse 1.700 milliards de dollars par an. En comparaison, celui des Antilles-Guyane représente à peine 800 millions de dollars, soit 1/2000, mais tout de même... Un automobiliste martiniquais, guadeloupéen ou guyanais utilise autant de carburant automobile qu’un consommateur de l’hexagone.
Essence, diesel, gasoil ou gaz naturel La SARA, l’unique raffinerie des Antilles-Guyane s’approvisionne presque uniquement en Norvège. Parce qu’elle y obtient le meilleur rapport qualité-prix. Le pétrole brut transformé dans la raffinerie du Lamentin à Fort-de-France est essentiellement du "brent" européen, dit  "brut de la mer du Nord" qui constitue la référence en Europe. Un million de tonnes est raffiné chaque année par la SARA.
 

L'or noir vient de Norvège

La SARA achète principalement du "brent Oseberg", du nom de l’un des grands gisements norvégien. La plate-forme pétrolière est en mer de Norvège, au large de Stavenger, la capitale norvégienne de l’or noir. Le pétrole des Antilles-Guyane provient aussi des gisements voisins d’Ekofisk ou de Skarv. Ces trois grands gisements maritimes appartiennent à Statoil (Equinor), la Compagnie nationale publique.

Le "Viking" pétrolier norvégien est l’équivalent du français Total, mais en plus petit. "Nous importons l’essentiel de notre pétrole brut de Norvège, car il est de très bonne qualité. Nous avons importé du pétrole du Venezuela, mais il y a 16 ans, c’était un brut léger appelé "Santa Barbara". Mais c’est fini depuis 2002 car le brut venezuelien contient trop de soufre" précise Philippe Guy. Le Directeur général de la SARA à Fort-de-France est une mine d'informations, il est d'une rare transparence dans une profession considérée souvent très discrète.
 

Du brut, du brent...

A l’origine, "Brent" est le nom d’un gisement de pétrole situé en mer du Nord entre les îles Shetland et la Norvège. L’exploitant Shell a donné à ce gisement un nom faisant référence à un oiseau (l’oie de Brent). Ce nom constitue également l’acronyme des différents champs du gisement : Broom, Rannoch, Etive, Ness et Tarbert. Le terme "brent" est plus généralement employé pour désigner un type de pétrole léger.
 

La SARA, raffinerie martiniquaise

Les quantités de pétrole de Norvège nécessaires aux Antilles-Guyane sont évaluées, en temps réel, par la direction de la SARA en Martinique. Elle transmet ses ordres d’achat à ses deux traders (intermédiaires spécialisés), dont l’un est à la Barbade et l’autre à Paris. Ces traders qui sont connectés au marché physique "spot" de Rotterdam vont ensuite négocier avec leurs contacts de Statoil à Oslo. Pas de spéculation, pas de cargaison baladeuse qui va changer plusieurs fois de propriétaire, de prix et de destination, la SARA achète au cours officiel du marché du pétrole, celui du brent. Bien sûr, elle essaie d’acheter au meilleur prix par baril premium, au bon moment, comme toutes les raffineries du monde. Elle évite ainsi les mauvaises surprises et se garantit un prix fixe, au cours du Brent +1 dollar, la marge du producteur. Le contrat est ensuite signé. il appartient à la compagnie pétrolière Statoil de l’exécuter.
 

"Les processus informatisés de la SARA nous fournissent en temps réel toutes les données nécessaires. Les besoins des Antilles-Guyane et donc les quantités de pétrole brut à commander en Norvège, l’évolution des prix du brut de la mer du nord, la logistique à établir. Ce logiciel nous permet aussi de comparer les prix, les qualités pour obtenir le meilleur rapport pour notre raffinerie des Antilles-Guyane" précise M.Guy.

 

La longue route du pétrole

De la Norvège jusqu’au port industriel du Lamentin à La Martinique, les pétroliers vont parcourir 7.600 kilomètres. Une longue route maritime de trois semaines où ils vont croiser, au milieu de l’Atlantique, d’autres pétroliers partis du Gabon ou de l’Angola pour rejoindre New-York ou Montréal. Et d’autres encore avec leurs cargaisons d’or noir du golfe du Mexique en route vers l’Europe. Des dizaines de pétroliers sont en mer, chaque jour de l’année...
 

La consommation monte en Guyane

La Guyane est la troisième consommatrice de pétrole des Antilles-Guyane, mais dans 20 ans, ce sera la première. La SARA livre actuellement plus de 220.000 mètres cube par an de carburant terrestre à partir de ses établissements de Kourou et de Dégrade des Cannes. Et la demande en Guyane devrait doubler d’ici 15 ans, en corollaire à la hausse très importante de la population dans l’Ouest guyanais.

"L’un des indices les plus révélateurs de cette croissance de la population dans l’Ouest guyanais ? C’est la hausse continue des ventes de bouteilles de gaz. Nous en écoulons plus de 100.000 par an et la hausse annuelle est de 10 %" précise encore M.Guy. La SARA s’intéresse naturellement à l’évolution démographique du département d’Amérique latine, tout comme elle regarde l’état des routes où circulent les carburants guyanais raffinés en Martinique. Les trois DOM consomment environ un million de tonnes de carburant par an, l’équivalent de la production du Suriname, le voisin de la Guyane. Mais la production surinamienne n'est pas exportée, elle est réservée à la consommation locale de carburant.

Dommage, le coût du transport maritime représente 1% du prix d’une cargaison. Or, il faut trois semaines de navigation depuis la Norvège et il ne faudrait que 4 ou 5 jours depuis le Suriname. L’économie serait de 600.000 dollars par cargaison, avec en plus pas mal de CO2 en moins…"Dans ma position d’industriel, j’ai une véritable sensibilité écologique, faire ensemble et diminuer notre empreinte carbone en développant nos énergies vertes là où ça va faire du bien, en réduisant les émissions de CO2. Nous développons la première pile à hydrogène qui sera mise en service en avril prochain en Martinique" conclut Philippe Guy, le directeur général de la SARA.
 

Réduire les coûts

Le raffinage est un secteur où les marges varient de façon extrêmement importante. La raffinerie des Antilles-Guyane au Lamentin est un outil industriel de pointe, et pour faire simple c'est une usine qui reçoit du pétrole brut et le transforme en différents carburants. Aujourd'hui, les prix montent, car le prix du pétrole brut est en hausse et surtout les taxes augmentent pour financer la transition écologique...
Le coût du pétrole, de l'achat au producteur jusqu'au distributeur en passant par le transport et le raffinage, ne représente que 30% environ du prix payé à la pompe par le consommateur. Le bénéfice du raffineur ? "Ce n’est pas une activité très rentable" explique Francis Perrin, expert du secteur et directeur de recherches à l’Iris, "dans les bonnes années une raffinerie dégage moins de 10 euros par tonne de carburant, mais elle peut aussi avoir des marges négatives". Réduire les coûts, et notamment ceux du transport maritime, aurait du sens...
 

Du pétrole plus proche ?

Pour le moment, le pétrole de Norvège raffiné en Martinique a de beaux jours devant lui. En tout cas jusqu'à 2020 quand commencera l'exportation du brut produit au Guyana depuis les plate-formes maritimes de l'américain Exxon Mobil. La production guyanienne devrait rapidement atteindre un million de barils par jour d'un brent léger et peu polluant. Intéressant pour la SARA ? En tout cas, l'économie ne serait pas négligeable : 600.000 dollars sur le coût de transport d'une cargaison de pétrole car il ne faudrait que quatre jours pour transporter le brut du Guyana jusqu'à la raffinerie de la Martinique, contre plus de trois semaines actuellement depuis la Norvège. "Un gain appréciable aussi en terme d'empreinte carbone, sauf à considérer qu'importer du pétrole de Norvège est écologique, le reste n'est que philosophie" estime un autre expert français qui s'exprime sous couvert d'anonymat.

En attendant, les automobilistes antillo-guyanais vont continuer à rouler avec Oseberg, l’or noir venu du froid. Un jour, peut-être, Total pourrait aussi proposer un pétrole extrait au large des côtes de la Guyane française. Si le rapport qualité-prix est bon, si l’exploitation se fait dans les règles de l’art, et si l’empreinte carbone s’en trouve améliorée, la SARA pourrait alors changer de fournisseurs...