Les uns, les autres et mOi by Otama
Forcément qu’on marque un temps d’arrêt quand on rencontre la plasticienne Otama Ricler pour la première fois. Quelque chose de mystérieux, de lumineux nous interpelle. Sa longue et magnifique chevelure noire lui retombant un peu en-dessous des épaules pourrait laisser croire à des origines cherokee ou cheyennes. Ses yeux couleur noirs façon Soulages ne font que renforcer cette impression. Un regard direct, profond, ensoleillé et sage aussi. Mais non, Otama n’est pas Indienne des Amérique, mais bien des Antilles : pour être précis elle est métisse guadeloupéenne-japonaise-hollandaise par sa mère et martiniquaise par son père. Son port toujours altier et sa manière de se tenir droite et évoluer dans l’espace lui confère l’assurance d’une danseuse étoile. Mais là non plus, on n’y est pas. Certes, comédienne durant une vingtaine d’année et également modèle et mannequin en son temps, cette licenciée en Droits des affaires à la Sorbonne a conservé cette aisance à aller vers autrui et à s’exprimer avec justesse. Mais, c’est un tout autre chapitre artistique que la native de Basse-Terre a décidé d’ouvrir, il y a une quinzaine d’années lorsqu’elle décide de devenir mère. "J’ai fait beaucoup de petits métiers, la création d’une boutique de prêt-à-porter, la publicité, beaucoup d’activités de représentation entre autres. Mais je n’arrivais pas à me poser. Je ne voulais pas de postes à responsabilité", explique-t-elle.
La Peinture, le collage, sa raison d’être
Otama est un esprit libre et rebelle et quoi de mieux que l’Art pour exprimer pleinement son être. La Guadeloupéenne suit l’évidence : la peinture et plus encore le collage. Selon elle, "l’Art est mon espace de liberté. Je n’aime pas dire que je travaille. J’exerce librement une activité épanouissante de 8 à 12 heures par jour. Je l’accompagne de musique variée mais dernièrement c’était de la musique méditative avec celle des frères Fanfant. Pour moi l’Art, outre contempler, consiste à transmettre de Soi. L’œuvre de l’artiste est le lien fort unissant Autrui à soi. La notion de partage y est primordiale. Qu’importe l’interprétation, le plus important est la transmission et le partage."
Exposition au Grand Palais éphémère à Paris
C’est avec beaucoup de bienveillance qu’Otama Ricler accueille les visiteurs, depuis mercredi 16 février 2022, dans un espace artistique dédié aux artistes français. Elle participe à l’exposition ART Capital au Grand Palais éphémère. C’est la quatrième fois qu’elle y est sélectionnée sur concours. Ce sourire timide et cette voix légèrement grave, en bandoulière, rassurent ses hôtes, impressionnés par le travail réalisé sur un immense tableau de 120 centimètres sur 163 centimètres intitulé "Les uns, les autres et mOi".
Un travail manuel de collage magnifique et exceptionnel
La plasticienne "travaille pas à pas, seule et de manière instinctive". Elle débute toujours méthodiquement par coller aux quatre coins du tableau quatre mots choisis dans une typographie et découpés dans un journal ou un magazine. "Je travaille par codes couleurs pour l’harmonie de l’œuvre. Cela donne du mouvement et c’est plus intéressant. Ma matière première est l’emballage, les journaux, les prospectus, les flyers. Tout ce que j’utilise est de la récupération ou bien des dons. Je donne donc une seconde vie à ces papiers dans cette ère du tout numérique. Par contre, je ne touche pas aux livres. Jamais, je ne découpe des pages d’un livre. C’est sacré pour moi".
Quatre mots pour quatre codes couleurs
Après un assemblage et un tri méticuleux des mots dans son atelier de Perche-en-Nocé en Basse-Normandie (Orne), le collage d’Otama s’organise. "L’Emmerdeur, des profs à bout, roi, le meilleur des meilleurs, les pères solos, fanm a grenn, grande gueule, l’indétrônable, réac, bande de filles, Toutes et tous, nous, potomitan, l’effrontée, l’indompté, usés … ", le vocabulaire est riche, en majuscule et en minuscule, groupe nominal ou verbe, noms commun - jamais de nom propre, des adjectifs ; le spectateur ne s’ennuie pas devant une telle fenêtre d’imaginaire. C’est le cas d’un jeune couple venu en visite. "J’aime beaucoup. Je trouve sympathique l’idée de coller tous ces mots les uns à côtés des autres. Notre regard semble se perdre. J’adore ça. Cela donne beaucoup à réfléchir", explique Anthony. Le travail artistique de cette autodidacte impressionne le grand public. "La densité des mots est extraordinaire. Et leur poids, incroyable de sens. Ces mots font réfléchir. Un seul nous plonge dans une profonde réflexion. Mais, ce que j’aime surtout c’est qu’il y en a plusieurs et forcément ça interroge", conclut sa petite amie Marie. Le tableau "Les uns, les autres et mOi", fortement plébiscité par le public, a reçu le Prix Maurice Berthon.
Ballades océanes et végétales des Toiles de vie
La plasticienne est une amoureuse de la Nature. Peintre, elle puise ses histoires dans ses promenades pour raconter dans des tableaux appelés "Mes Ballades océanes et végétales". Elle explique travailler sereinement avec "la terre, les pigments, les résidus de suie de cheminée ou encore des copeaux de bois et je fais des assemblages. Je n’arrache rien, je ramasse. Je n’ai jamais rien arraché à la nature. En réalité lors de mes ballades en bord de mer en Normandie ou dans la nature, je tombe sur des choses incroyables. La Nature donne tout à portée de main". Amour, partage, émotions, moment présent, Otama se sait chanceuse, car vivante. Elle prend la vie comme un cadeau. Depuis 2012, l’artiste créole compte plus d’une cinquantaine d’expositions.