Les Outre-mer, c'est quoi ? Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

De gauche à droite et de haut en bas : vue des îles de Kerguelen, Tromelin, de la Terre Adélie et de Saint-Paul
Terre Adélie, îles Eparses, îles Australes, ces territoires du (presque) bout du monde sont relativement méconnus. Classés pour certains au patrimoine mondial de l’Unesco, ils contribuent à faire de la France une puissance maritime mondiale, et abritent une biodiversité foisonnante.
Siège administratif des TAAF : Saint-Pierre de La Réunion, plus une antenne à Paris
Statut : Collectivité d’Outre-mer 
Zones : océan Indien et Antarctique
Les TAAF font partie des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) de l’Union européenne
Langue : français
 

Population

L’une des singularités des TAAF, réparties sur 2.367.400 km2*, c’est qu’elles ne comptent aucun résident permanent. Cependant les territoires possèdent des bases scientifiques et militaires, où, selon les périodes, vivent quelques dizaines ou quelques centaines de personnes, pour une durée allant d’un mois à un an. Les îles Éparses accueillent par exemple des garnisons et des détachements militaires (Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien, FAZSOI), des gendarmes, des scientifiques et des agents techniques, relevés tous les 30 à 60 jours. La Terre Adélie reçoit quant à elle une centaine de personnes de novembre à février, puis une vingtaine environ durant le reste de l’année, qui y vit en totale autonomie pendant près de huit mois.
(* A noter que la Commission des Limites du plateau continental, organe spécialisé des Nations unies, a émis le 10 juin 2020 des recommandations autorisant la France à étendre son plateau continental au large des îles de Saint-Paul et Amsterdam, des TAAF, de 93.202 km2).
 
Vue d’une partie de l'île d’Europa dans les îles Eparses
 

Histoire en bref

Chaque zone et ses îles ont des histoires bien particulières. Aux îles Eparses, le petit archipel des Glorieuses est découvert dès le Moyen-Age par des navigateurs arabes, puis par ceux qui suivent la Route des Indes aux XVe et XVIe siècles. En 1751, le navire français Le Glorieux réalise une cartographie du secteur, rebaptisé Les Glorieuses par le capitaine, en hommage à son embarcation. La France prend officiellement possession de l’archipel en août 1892. L’île Juan de Nova est nommée de son patronyme par celui qui la foule le premier en 1501, un amiral galicien au service du roi du Portugal. Elle devient dépendance française en 1897, et sera pour un temps le territoire des Eparses le plus habité à cause de ses richesses naturelles (guano, phosphate et coprah notamment).

Europa, située dans le canal du Mozambique, était connue des navigateurs dès le XVIe siècle. Elle doit son nom au vaisseau britannique qui la baptisa en 1774. Des colons français s’y installent en 1860 pour faire de l’élevage, et l’île est déclarée officiellement française en 1897. Géographiquement tout proche d’Europa, le petit atoll Bassas da India a également été découvert au début du XVIe. Après plusieurs changements au cours des siècles, son appellation définitive est due aux Anglais. Le récif devient également français en 1897. Plus à l’est, la découverte de Tromelin débute par le naufrage de l’Utile en juillet 1761, un bateau de la Compagnie française des Indes Orientales transportant 160 esclaves malgaches. L’histoire est tragique. L’équipage abandonne sur l’île 80 esclaves survivants et rejoint Madagascar sur une embarcation de fortune, promettant de venir les récupérer ensuite. Ce qu’il ne fera jamais. Ce n’est qu’au bout de quinze ans, en novembre 1776, que huit personnes encore vivantes (sept femmes et un enfant de huit mois)  seront retrouvées par le chevalier de Tromelin, qui donne son nom au territoire.

Vidéo : le patrimoine naturel des TAAF

Dans les îles Australes, la première à être découverte est celle d’Amsterdam, baptisée ainsi par le navigateur hollandais Van Diemen en 1633. La France en prend finalement possession en 1892, de même que sa voisine Saint-Paul. Les îles Crozet sont foulées en 1772 par l’explorateur français Marc-Joseph Marion du Fresne (surnommé Marion Dufresne). Elles portent le nom de son second de vaisseau, Julien Crozet. L’archipel est devenu officiellement un district des TAAF en 1955. Toujours en 1772, le navigateur français Yves Joseph Kerguelen de Trémarec accoste sur les îles Kerguelen, nommées après lui. Elles deviennent territoires de la France en 1893.

Située dans l’Antarctique, la Terre Adélie a été découverte en 1840. C’est une "zone de revendication française en Antarctique" disposant d’un statut juridique unique découlant du Traité sur l’Antarctique signé à Washington en 1959. Selon l’administration des TAAF, cet instrument de droit international signifie "le gel de toute revendication territoriale terrestre ou marine émise par les Etats : les Etats “possessionnés” ont le droit d’émettre leurs revendications et les autres Etats ont le droit de ne pas les reconnaître".
 
Carte des territoires des TAAF
 

Géographie

Trois ensembles géographiques composent les TAAF. Dans l’océan Indien, l’archipel des Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India dans le canal du Mozambique, ainsi que Tromelin au nord de La Réunion forment les îles Eparses. Plus au sud, les îles Australes sont constituées par l’archipel de Crozet, les îles Kerguelen et les îles Saint-Paul et Amsterdam. La Terre Adélie se trouve en Antarctique dans le cercle polaire.

Au total, les TAAF représentent 2.367.400 km2 de zones économiques exclusives (ZEE, auxquelles il faut dorénavant ajouter 93.202 km2 au large des îles de Saint-Paul et Amsterdam, voir plus haut), soit la deuxième ZEE de France après la Polynésie. Une ZEE étant un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources, cela est d’une importance économique, scientifique et géostratégique capitale pour la France. Cette dernière, grâce à ses zones économiques exclusives, occupe le deuxième rang mondial en termes de domaine maritime, derrière les Etats-Unis. La collectivité des TAAF gère la plus vaste réserve naturelle de France, d’une superficie de 22.700 km2, soit environ 80% de la surface totale des réserves naturelles nationales.
 
 

Economie

La collectivité possède un budget indépendant de celui de l’Etat, ainsi que la possibilité d’instaurer des taxes et des impôts. Pour 2019, les TAAF disposaient une enveloppe de 59,4 millions d’euros, répartis en fonctionnement (44,4 millions d’euros) et en investissements (15 millions). Selon le dernier rapport d’activité des territoires, les recettes propres représentent plus de 80% de leurs ressources. Ces dernières proviennent principalement des droits de pêche (11,3 millions), de produits divers (boutiques, philatélie, vente de fuel aux navires faisant escale dans les districts, contrats de services) ainsi que du revenu procuré par l’affrètement du Marion Dufresne pour la recherche scientifique et océanographique (3,9 millions). Le tourisme dans les îles Australes et Éparses est également un poste de recette qui a généré près de 370.000 euros en 2019. Cette même année, la dotation dite d’équilibre du ministère des Outre-mer s’est élevée à 4,6 millions.

Ce budget principal est complété par une dotation du ministère de la Transition écologique et solidaire pour un montant de 1,2 millions d’euros, complètement dédié à la Réserve naturelle des TAAF. Il existe également deux dotations hors budget de la collectivité : les moyens du ministère des Armées, qui fournit 55 personnels répartis entre les districts et le siège, ainsi qu’une dotation du ministère de l’Intérieur de 2,4 millions pour la rémunération de 28 salariés du siège.
 
 

Politique et cadre institutionnel

Collectivité d’Outre-mer depuis 1955, les TAAF ont cette particularité, ne comptant pas de résidents permanents, de n’avoir ni élus, ni électeurs, ni assemblée locale. Les territoires sont sous l’autorité d’un administrateur supérieur appartenant au corps des préfets. Basé à La Réunion, il représente l’Etat. La collectivité est divisée en cinq circonscriptions administratives, dirigées par des chefs de districts qui relèvent directement du préfet. Ce dernier et ses équipes (secrétaire général, chef de cabinet, chefs de circonscriptions, chargés de missions et chefs de services) sont assistés par un Conseil consultatif pour les questions économiques, budgétaires, environnementales et scientifiques. Le Conseil comporte treize membres, ayant chacun un suppléant, et représente les différents ministères (Outre-mer, Armées, Recherche, Agriculture et Pêche, Transition écologique et Affaires étrangères) concernés par la collectivité.  

Les TAAF font partie des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) de l’Union européenne, ce qui leur permet d’avoir accès, entre autres, aux financements du Fonds européen de développement (FED). Sur le plan régional, la collectivité est active dans le cadre de la préservation des milieux naturels. Elle participe notamment aux travaux de la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI), de l’Accord sur la conservation des albatros et pétrels (ACAP) et de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique. A noter que les îles Eparses font l’objet de revendications territoriales de certains Etats riverains comme Madagascar, Maurice et les Comores, du fait de leurs ressources halieutiques et, potentiellement, en hydrocarbures.
 
 

Société

Les TAAF se caractérisent par leur remarquable biodiversité (voir la fiche d’identité plus haut), ce qui a entraîné l’instauration de mécanismes visant à protéger ce patrimoine. Dans cette optique, l’Etat a créé la Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises en 2006 et le Parc naturel marin des Glorieuses en 2012. Ce dernier comprend près de 3000 espèces inventoriées, et l’archipel devrait devenir une réserve naturelle nationale en 2020. Par ailleurs, en juillet 2019, les Terres et mers australes françaises (îles Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam ainsi que leur zone maritime protégée) ont été officiellement inscrites sur la liste du Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Réparties sur 673.000 km2, elles sont le plus grand bien inscrit sur la Liste du patrimoine de l’institution des Nations unies. Cette reconnaissance s’est basée sur trois critères : "un patrimoine biologique d’exception, des fonctionnalités écologiques riches et complexes, et l’importance esthétique de ces territoires".

La collectivité est donc particulièrement importante pour l’étude de la biodiversité marine et terrestre, la géophysique et la climatologie. Elle permet de contribuer aux avancées scientifiques concernant des thématiques essentielles telles que les changements climatiques, l’évolution de la biodiversité, le fonctionnement des océans, etc. Pour cela, les différentes bases installées sur les territoires sont capitales. Elles accueillent des personnels scientifiques et techniques mais également militaires pour marquer la souveraineté de la France et surveiller l’immense zone économique exclusive. Selon les périodes et les besoins, quelques dizaines à quelques centaines de personnes séjournent sur les bases, pour des durées ne dépassant jamais une année. Depuis 1994, la visite des districts de Crozet, Amsterdam et Kerguelen est ouverte aux touristes à bord du navire Marion Dufresne, mais de façon limitée.
 
♦ Vidéo : les Terres et mers australes françaises au Patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco
 
Les caractéristiques géographiques des TAAF les rendent difficiles d’accès et nécessitent une organisation logistique sophistiquée. Les bases des îles Australes et de la Terre Adélie sont desservies par voie maritime. Elles ne possèdent pas de ports mais seulement des zones de mouillages. C’est le légendaire paquebot Marion Dufresne, du nom de celui qui découvrit les îles Crozet, qui effectue les liaisons vers les districts austraux depuis La Réunion, tandis que L’Astrolabe rejoint la Terre Adélie à partir de la Tasmanie (Australie), située à 2700 km, soit environ six jours de voyage. Les îles Eparses sont quant à elles ravitaillées par avion militaire et par des rotations ponctuelles du Marion Dufresne.

Légendaire, disions-nous à propos de ce bateau. « Au-delà de sa compétence "ravitailleur" des îles Australes françaises et des îles Éparses », précise un document des TAAF, « ce navire de 120m de long et 20m de large est un fleuron de la flotte océanographique française. Il dispose d’une capacité d’accueil de 114 passagers et 46 membres d’équipage et transporte conteneurs et colis lourds pour un total de 2500 tonnes ou 5600 m3. A la fois navire de recherche équipé de 650m2 de laboratoires, paquebot et cargo, il est également pétrolier et porte-hélicoptères comme moyen de débarquement en plus des deux vedettes. Lors des campagnes océanographiques, mises en œuvre par l'IPEV (Institut polaire Paul-Emile Victor), le Marion Dufresne accueille également des étudiants de toute nationalité dans le cadre "d’universités flottantes" ».
 
A lire, à regarder : Carnet de bord. A bord du Marion Dufresne dans les îles Eparses (par Julie Straboni)

♦ Bonus, à écouter
Julie Straboni · Dans les coulisses du Marion Dufresne : Cap sur les îles Éparses