Papa aux Antilles : quand l'histoire bouleverse la paternité

Le documentaire "Papa aux Antilles" d'Anne-Gaëlle Brault explore la paternité en Martinique, un sujet marqué par l'héritage de l'esclavage et de la colonisation. À travers des témoignages forts, le film donne la parole aux hommes et aux femmes pour comprendre le silence des pères et leur place souvent effacée au sein de la famille antillaise.

Le nouveau documentaire d'Anna-Gaëlle Brault, "Papa aux Antilles", nous plonge au cœur d'une réalité souvent méconnue et tabou : l'absence paternelle en Martinique. Sur l'île, selon un rapport du Sénat de juillet 2023, plus de la moitié des familles sont monoparentales, soit trois fois plus que dans l’Hexagone.

Selon les statistiques, en 2018, 38 % des chefs de famille sont des femmes. Deux tiers des naissances dans les Antilles-Guyane ne sont pas reconnues par les pères, contre 10 % dans l’Hexagone. L'homme antillais ne serait ou ne saurait donc pas être un père ?

Hommes aux Antilles

À la recherche du père

Le film débute par le témoignage de Francine (famille de 7 frères et sœurs) qui évoque la polygamie de son père : "Mon père, il était beau comme un acteur de cinéma, il se savait beau donc il était séducteur (...) j'étais en admiration, jusqu'à ce que je découvre qu'en fait, c'était un personnage à multiples facettes. C'était pas très honorable pour lui, le flan est tombé comme on dit..."

Ce témoignage illustre la dualité souvent présente dans la perception du père : à la fois figure admirée et source de déception. Il met en lumière la complexité des relations père-enfant dans un contexte où la polygamie et l'infidélité sont fréquentes.

D'autres témoignages sont plus positifs, comme celui de Francine (famille de 7 frères et sœurs) qui parle de son père avec tendresse : "mon père, il nous emmenait à l'internat... il était tellement impatient de nous voir."

Ces récits contrastés montrent la diversité des expériences paternelles et remettent en question les stéréotypes sur l'absence paternelle systématique.

Le poids de l'histoire coloniale

"Le père pendant longtemps, n'a pas existé dans la société esclavagiste", rappelle Daniel (9 frères et sœurs), soulignant le poids de cet héritage. Le documentaire n'élude pas les racines historiques de ce phénomène, expliquant comment le rôle du père a été systématiquement nié pendant des générations : "le père que l'on trouve présent dans les sociétés occidentales où il y a, papa, maman et les enfants, ça n'a pas existé pendant très longtemps dans les sociétés antillaises". Cette perspective historique permet de comprendre la profondeur des blessures et les défis auxquels font face les familles martiniquaises aujourd'hui.

Pères faisant partie de l'association PPJ (Papa Pa Jenité)

Le mythe du " potomitan" toujours bien ancré

Comme le rappelle Francine, "c'est plus facile de parler de la mère", soulignant d'emblée la difficulté d'aborder ce sujet sensible. Le film donne la parole à des hommes de tous horizons, révélant un éventail d'expériences paternelles. Des pères absents aux pères présents, le documentaire offre un spectre large des réalités. 

"Papa aux Antilles" s'attaque à déconstruire le mythe du "potomitan", cette figure maternelle omniprésente qui a longtemps éclipsé le rôle du père dans la société antillaise. En donnant la parole aux hommes, le film montre que de nombreux pères aspirent à jouer un rôle actif dans la vie de leurs enfants, malgré les obstacles sociaux et culturels.

Ainsi, des initiatives visant à revaloriser le rôle du père et à accompagner les hommes dans leur paternité voient le jour. On découvre des groupes de parole pour hommes, des ateliers sur la parentalité, et même un concept innovant appelé "Bar à papas", où les hommes peuvent se réunir pour discuter de leur expérience de la paternité.

"Ce qui se passe en ce moment c'est que l'homme a envie de parler. Ça bouge, c'est vivant" affirme un participant, témoignant d'une évolution positive dans la société martiniquaise.

Les défis de la paternité moderne

Le documentaire aborde également les défis auxquels font face les pères modernes en Martinique. De la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale à la gestion des familles recomposées, en passant par la nécessité de redéfinir les rôles parentaux, les témoignages montrent que la paternité est un apprentissage constant. 

Les hommes expriment leur désir de retrouver une place centrale au sein de la famille, brisant ainsi l'image stéréotypée du père absent. 

Un père témoigne : "Je n'ai pas fini d'apprendre à être père, tous les jours je suis dans une situation nouvelle. On n'est pas père de la même manière lorsque l'enfant a 10 ans, lorsqu'il a 15 ans, lorsqu'il a 20 ans".

Nahel et Thierry, fils et père

L'impact sur les générations futures

"Papa aux Antilles" soulève également la question de l'impact de l'absence ou de la présence paternelle sur les générations futures. Le film explore comment les modèles parentaux se transmettent et comment les jeunes hommes d'aujourd'hui envisagent leur propre paternité.

Thierry à propos de son fils Nahel : "Il était tout bébé, enfin pas tout bébé, mais il commençait à marcher et puis je lui ai mis une fessée. Quand je l'ai vu se fâcher, je me suis dit mais c'est ça en fait, c'est comme ça que j'étais aussi quand on me tapait... pourquoi j’ai fait ça ?" 

Un appel au dialogue et à la compréhension

En donnant la parole à ceux qui souffrent en silence, Anna-Gaëlle Brault ouvre un dialogue nécessaire sur la paternité en Martinique. Son documentaire est un appel à la compréhension mutuelle et à la reconstruction des liens familiaux. Il invite à repenser nos conceptions de la famille, de la masculinité et de l'identité dans un monde en pleine mutation.

Retrouvez ici l'intégralité du documentaire "Papa aux Antilles"

Un film de Anna-Gaëlle Brault
Production Elephant Doc avec la participation de France Télévisions
52 min - 2024