Jean-Pierre Técher est originaire des Hauts de Saint-Leu, où il a grandi avec ses onze frères et soeurs. En 1971, il a une vingtaine d’années et il travaille à l’usine. Il rencontre Marie-Claire Emma, une femme mariée et mère d’une famille nombreuse. Ils tombent amoureux et vivent une histoire secrète jusqu’à la nuit du 17 au 18 février 1971 où tout bascule.
Le journal Le Monde relatera ainsi la scène : "Jean-Pierre Técher, sur l'instigation de sa maîtresse, a assassiné à coups de marteau le concubin de cette dernière, Denis Naze, 35 ans, à son domicile de Saint-Denis."
Un matin de juin 2022, contacté par Archipels du crime, Jean-Pierre Técher, d’ordinaire très réservé sur le sujet, accepte de livrer sa version des faits. À propos de l’homme qu’il a tué il y a 51 ans, il laisse entendre qu'il ne s'agissait pas de l'époux de Marie-Claire, mais d’un homme qui voulait, lui aussi, sortir avec elle. Il raconte que ce jour de février 1971, une bagarre éclate, et là, dit-il : "vous vous retrouvez dans une sorte d'engrenage où vous avez l'impression de ne pas avoir d'autres solutions que de vous battre. Il a voulu m'éliminer, c'était lui ou moi."
Marie-Claire et Jean-Pierre sont arrêtés quelques jours après les faits. Ils sont placés en détention provisoire à la prison Juliette-Dodu, à Saint-Denis. Ils ne se verront plus jusqu’au moment de leur procès qui s'ouvrira deux ans plus tard, en juin 1973. Les deux amants comparaissent alors devant la cour d'assises de La Réunion.
Une sentence perçue comme une vraie surprise à La Réunion
La Cour prononce une double condamnation à la peine capitale contre Jean-Pierre Técher, 24 ans, manœuvre et Marie-Claire Emma, 29 ans, mère de cinq enfants, tous deux originaires de l'île. Le tribunal n'a voulu accorder aucune circonstance atténuante aux deux accusés.
C'est la première fois qu'une condamnation à mort est prononcée sur l’île en presque vingt ans. En 1954, Anatole-Just Payet avait été exécuté en place publique, sur le front de mer de Saint-Denis, pour le meurtre d'une fillette de six ans. Depuis la guillotine n'était plus en service dans le département.
En octobre 1973, Jean-Pierre et Marie-Claire, les deux amants condamnés à mort, se tournent vers la chambre criminelle de la Cour de cassation, mais leur pourvoi est rejeté. Il ne leur reste plus qu'à espérer une grâce présidentielle.
Pour Marie-Claire Emma - qui restera d'ailleurs l'ultime femme condamnée à mort en France - il y a peu d'inquiétude. Une sorte de tradition tacite pousse tous les présidents français à gracier les femmes condamnées à la peine capitale. Le sort de Jean-Pierre Técher est, en revanche, plus incertain.
La condamnation à mort muée en perpétuité
On ignore ce qui a poussé le président Georges Pompidou, à la clémence dans ce dossier, mais le 3 décembre 1973, le couple d'assassins réunionnais obtient la grâce présidentielle.
Quand on vous annonce cette nouvelle, vous avez l'impression d'être soulagé. Mais, la phrase n'est pas finie, quand on vous dit "vous êtes gracié", la peine de mort a été commuée en RCP, ça veut dire réclusion criminelle perpétuelle.
Jean-Pierre TécherRFO journal Soir Réunion du vendredi 23 septembre 2011
Après six mois passés dans le couloir de la mort, Marie-Claire et Jean-Pierre sont donc condamnés à la perpétuité. Jean-Pierre Técher passera plus de quinze ans derrière les verrous entre la prison Juliette-Dodu, au nord de l''île, et celle de Saint-Pierre, au sud.
Durant toutes ces années d’incarcération, Jean-Pierre Técher a tout tenté pour se faire la belle. Il réussit à prendre la poudre d’escampette une nuit de la Saint-Sylvestre mais est de nouveau rapidement arrêté. En 1981, il est encore à la prison Juliette Dodu lorsqu’il apprend l’abolition de la peine de mort.
Libération conditionnelle et années de galères
En 1988, Jean-Pierre Técher obtient sa libération conditionnelle grâce à un travail décroché à la mairie de Saint-Denis. Il aura passé 17 ans sous les verrous. Après autant d’années derrière les barreaux, il ne supporte pas bien cet emploi. Commence alors pour Jean-Pierre une longue période de galères à une époque où La Réunion est la région française (et même européenne) où le chômage est le plus important avec un taux avoisinant les 30 %.
La situation est d'autant plus compliquée qu'entre-temps, il a eu un enfant, Cédric, avec sa compagne Véronique Férrère. Jean-Pierre finit par retrouver un emploi à la SOREG, la Société réunionnaise des eaux gazeuses où il restera jusqu'à sa retraite.
L’investissement dans le social, au service des chômeurs
En parallèle, il se lance corps et âme dans le social. C’est une forme de rédemption pour cet homme qui a commis un meurtre quand il avait 21 ans. Il co-fonde le Collectif des associations contre le chômage. Puis il co-préside le Collectif de lutte contre l’exclusion. Et il va aussi s'investir auprès de l'association Agir ensemble contre le chômage.
La malédiction des Técher
En 2013, Véronique Ferrère, 47 ans, est retrouvée morte dans son appartement du quartier de Petite-Ile, à Saint-Denis. C'est l'ancienne compagne de Jean-Pierre et la mère de son unique enfant, Cédric.
Le doute ne plane pas indéfiniment. Moins de 36 heures après la découverte du corps, Cédric Técher, 22 ans et suspect numéro 1, est arrêté. Il est placé en garde à vue et il va très vite passer aux aveux.
Pour le premier avocat de Cédric, Maître Yannick Mardenalom, c'est le manque d'amour qui a poussé son client à passer à l’acte. Jean-Pierre Técher est effondré de voir son fils devenir meurtrier à son tour. Jean-Pierre s'était séparé de Véronique Ferrère douze ans auparavant et avait obtenu la garde de Cédric, qui vivait encore sous son toit. Técher père dira qu'il connaissait la souffrance de son fils mais qu'il ne pouvait pas imaginer pareille issue… Jean-Pierre Técher assiste les larmes aux yeux à la condamnation de son fils.
Aujourd'hui, Cédric Técher purge sa peine dans l'Hexagone, dans le Sud-Est de la France. Avec la pandémie, les visites ont été très réduites, mais le père et le fils communiquent régulièrement par téléphone.
À plus de soixante-dix ans, Jean-Pierre Técher, lui, n’a pas une retraite désoeuvrée. Il continue de s'investir dans son association contre le chômage. Et il tient à le dire : il "tire son chapeau" à toutes celles et ceux, dans le monde, qui luttent encore contre la peine capitale.
Retrouvez ci les autres épisodes d'Archipels du crime, consacrés aux grands fait-divers qui ont marqué les Outre-mer.
Les Técher, assassins de père en fils , un podcast écrit par Léia Santacroce, raconté par Stana Roumillac
Réalisation : Arnaud Forest et Karen Beun
Production originale : Initialstudio avec la participation de France Télévisions
Durée 20 min - 2022