Trois pour un. Trois musiciens d’un côté. Trois comédiens d’un autre. Mais pour une seule voix, un seul cri d’amour. Polyphonie et musique rock accompagnent cette version de Face à la mère de Jean-René Lemoine qu’Alexandra Tobelaim est allée trouver pour monter ce spectacle. Jusqu’au 15 mai, le Théâtre de la Tempête abrite ce que la metteuse en scène appelle "un spectacle-concert" et résonne de ce poème qu’un jour un fils a voulu écrire pour sa mère.
L'écrit de douleurs
Écrire ce texte, était-ce d’ailleurs un acte volontaire ? "Je n’avais pas le choix", confie l’auteur à l’Oreille est hardie. Après le choc de la mort de cette mère qui vivait loin, là-bas en son Haïti chéri, la nécessité d’écrire, le flot des mots devenaient presque incontrôlables. Un besoin irrépressible de dire non seulement cette douleur et le drame de la disparition, mais aussi toute la complexité de la relation entre un fils et sa mère, de son enfance à sa maturité. Écrire aussi pour rendre justice à une femme dont il découvre sur place en Haïti toutes les facettes jusque là méconnues de lui. Rendre justice aussi à tous les orphelins, leurs parents arrachés à eux dans des conditions brutales similaires.
Lettre intime et universelle
C’est tout cela, Face à la mère : un entrelacs d’amour et de rejet, de joies et de peines, de fusion et d’incompréhension, parfois de sourires et de colères… Mais malgré l’intime - le récit est indéniablement lié à la vie de Jean-René Lemoine -, se révèle une large part d’universalité dans ce texte. Tout le monde peut endurer la mort d’un être cher, tout le monde peut entretenir des liens compliqués avec ses parents, tout le monde peut s’interroger sur ses origines.
Haïti qui ne dit pas son nom
D’ailleurs, Haïti n’est pas une seule fois citée dans Face à la mère. Et pourtant, en filigrane et d’une certaine façon, c’est du deuil que Jean-René Lemoine fait de ce pays dont il est aussi question. Un pays inexorablement lié à lui par sa mère et par le drame qui lui est arrivé. Un pays tout à la fois qu’il réprouve et qu’il aime profondément, c’est ainsi. Son pays de naissance mais qui n’empêche pas Lemoine de refuser de se laisser enfermer dans des explications à son existence parfois trop simplistes à son goût, par les autres. L’homme se veut, se revendique, multiple à l’instar de ses origines.
Son origine intime, celle dont il se revendique vraiment - en plus d'une filiation littéraire avec l’écrivain Marcel Proust -, c’est… le théâtre ; et Face à la mère, bien que n’étant pas du tout son premier texte, a signé pour lui sa véritable entrée en écriture, comme il l’explique à l’Oreille... . Un texte qu’il a eu un besoin vital de dire et qu’il a donné en spectacle, il y a quelques années, interprété et mis en scène par lui-même. Là encore, une nécessité sans trop savoir pourquoi.
Écoutez "l'Oreille est hardie"...
Aujourd’hui donc, Face à la mère est un spectacle d’une toute autre nature, né d’une relation de confiance nouée entre Jean-René Lemoine et la metteuse en scène Alexandra Tobelaim, fascinée par ce texte et à qui l’auteur a laissé carte blanche. À peine voudra-t-il avoir un droit de regard sur les quelques coupes de texte effectuées...
Dans l’Oreille est hardie, Jean-René Lemoine évoque la façon dont il accueille cette nouvelle vision de son texte, revient sur son écriture et sur ses relations aujourd’hui avec Haïti et cette mère disparue. À laquelle il aura rendu un hommage éternel dans Face à mère, démontrant que si les êtres nous quittent un jour et s’envolent, les écrits et les mots, eux, restent…
Jean-René Lemoine est à retrouver et à écouter dans l’Oreille est hardie, c’est par ICI !
Ou par là :
Face à la mère, de Jean-René Lemoine , mise en scène d’Alexandra Tobelaim, jusqu’au 15 mai 2022 au Théâtre de la Tempête à Paris (Cartoucherie de Vincennes).