PORTRAIT. L'esprit "moukataj" au cœur des vidéos humoristiques du YouTubeur et imitateur réunionnais Ganesh2

David Chabant, alias Ganesh2, dans son studio à Bordeaux où il crée ses vidéos.
Imitation de Jean-Marie Le Pen qui joue à Zelda, "Le petit bonhomme en mousse" façon Nirvana, ou encore des parodies de Matrix en créole... De son vrai nom David Chabant, le Réunionnais Ganesh2 crée des vidéos humoristiques sur YouTube et Dailymotion depuis 2006. A 37 ans, il s'en amuse toujours autant.

Imitateur, chanteur, auteur, monteur vidéo, "tonton flingueur" sur Europe 1 avec Karl Zéro en 2019 ou chroniqueur humoristique au début de sa carrière sur Réunion 1ère, comme ci-dessus, David Chabant a toujours multiplié les casquettes comme les blagues. Il faut dire qu'il s'est mis à publier des vidéos sur Internet dès 2006, alors qu'il avait 20 ans.

"Ce que je faisais à l'époque, c'est que j'envoyais presque individuellement mes imitations aux gens, se souvient David. Et quand j'ai découvert à l'époque YouTube, qui en était encore à ses balbutiements [la plateforme a été créée en 2005, NDLR], et que je pouvais mettre ces petites créations sur Internet d'une manière totalement libre, c'était vraiment une révolution."

Une révolution technologique mais aussi dans sa vie car à l'époque, le natif de Saint-Denis voyait son rêve d'enfant de devenir dessinateur de bande dessinée se déliter. À 18 ans, il avait en effet quitté La Réunion pour Marseille suivre des études d'arts plastiques, mais il avait rapidement senti qu'il n'était pas tout à fait à sa place.

Bloqué par YouTube

Il commence donc à poster ses premières vidéos, prémices d'un style qu'il va garder avec les années. Mais quelques mois plus tard, les premiers ennuis arrivent : trois de ses publications sont supprimées car elles n'auraient pas respecté les droits d'auteur.

L'une d'elle était un détournement du clip Purple Rain de Prince en spectacle de stand-up, avec une vidéo et un son de "mauvaise qualité". "Je n'étais pas en train de courir sur leurs plates-bandes, et pourtant je me suis fait supprimer", se rappelle le Réunionnais.

Ces trois avertissements au même moment conduisent au blocage son compte. "Ça a été compliqué, reconnaît David. J'ai dû migrer plusieurs années sur Dailymotion." Plus exactement six ans, de 2006 à 2012.

"Matrix ton monmon Résurrection"

C'est là que naissent des créations comme des parodies de scènes de Matrix en créole réunionnais. "C'était des vidéos que les gens se partageaient sur leur Sony Ericsson, c'est-à-dire qu'ils se partageaient des vidéos d'une qualité horrible, s'amuse le créateur de contenus. J'ai fait partie, malgré moi, de l'univers humoristique web de La Réunion." À l'occasion de la sortie de Matrix Résurrection, il a sévi à nouveau avec un remake intitulé Matrix ton monmon résurrection :

Quand on lui demande pourquoi il n'a pas poursuivi sur cette idée de parodier des films en créole qui lui offrait le succès sur l'île, David Chabant n'a pas vraiment d'explication, ou plutôt il en a plusieurs. "Monomaniaque de Matrix", il maîtrisait la trilogie de A à Z et avait "envie de faire la meilleure parodie possible" avec.

Surtout, le film l'inspirait en créole plus que tout autre : "Entre le côté métissage, entre les choses que l'on peut rapprocher à La Réunion, entre l'oracle qui ressemble exactement à ma tante créole ou à une tatie guadeloupéenne... C'est vrai que ça aurait été plus difficile pour moi d'essayer de donner à d'autres films un esprit de créolité que Matrix avait à 100%".

2 à 3 millions de vues... pour rien

Si l'humoriste n'a jamais pu quantifier le succès de ses versions de Matrix, cela n'avait que peu d'importance à l'époque car il ne gagnait pas encore sa vie avec. Mais à partir de 2011, il commence à toucher de l'argent avec ses vidéos, et se consacre à 100% à cette activité. Aujourd'hui il perçoit en moyenne 1.200 € par mois sur YouTube, mais c'est "très, très fluctuant" car cela varie en fonction du nombre de vues.

Au-delà de ne jamais savoir si une création va bien tourner ou non, il doit aussi affronter le vol de ses vidéos, qui sont récupérées et diffusées sur TikTok. Il donne l'exemple de sa parodie Les Enfoirés chantent pour Valérie Pécresse publiée en avril 2022 sur son compte YouTube et visionnées 900.000 fois, "ce qui était très, très bien".

"Mais j'ai vu que sur TikTok, il y a eu plusieurs itérations à 2 millions, 3 millions, 4 millions [de vues], déplore David. [Les Tiktokeurs] ont beau dire 'oui, mais ça te fait connaître', en attendant, ceux qui se font de la thune là-dessus, c'est eux donc c'est un peu vexant." Comme la modération sur TikTok "est assez compliqué", il a été obligé de se mettre sur la plateforme pour éviter le piratage.

Rencontres inoubliables

À côté de ces difficultés, il a aussi vécu des rencontres inoubliables avec Frédéric Courant de C'est pas sorcier, ou avec Patrick Poivey, LA voix française de Bruce Willis. En plus de longues discussions, il a partagé avec ce dernier un moment particulier lors d'une convention à Nanterre en 2015 : "Il est venu sur scène et c'est moi qui faisais sa voix et les gens ne voyaient pas que c'était moi qui faisais sa voix."

Frédéric Courant comme Patrick Poivey "étaient contents, parce qu'il y a un côté 'on les a compris'", confie le natif de Saint-Denis, pour qui les meilleures imitations sont à la lisière entre hommage et parodie.

Cet humour, David Chabant le tire notamment du "moukataj" réunionnais. "On a cet esprit-là, ce côté un peu moqueur, mais qui est juste là pour amuser la galerie plutôt que vraiment faire mal en disant des trucs méchants", assure-t-il, avant de nous révéler une de ses techniques : "Pour mes blagues, limite je pense d'abord en créole et puis après je les tourne en français."

Aujourd'hui basé à Bordeaux, en Aquitaine, il n'oublie jamais ses racines et revient régulièrement à La Réunion voir sa famille, mais aussi travailler. Il a notamment participé à la mini-série réunionnaise en créole, Somin Gazé, en jouant différents petits rôles dont le postier dans Mafate. Là, pas besoin de franciser, il a pu "moukater" en "kréol rényoné".