Prête-noms, "mules" et langage codé : les rouages d'un trafic devant le tribunal

Palais de justice de Bobigny
Lignes ouvertes sous de fausses identités, prête-noms pour effectuer des virements, cocaïne importée de Martinique via des "mules" : à Bobigny, le procès de douze hommes lève le voile sur le fonctionnement d'un trafic de drogue dans une cité de Seine-Saint-Denis.
L'affaire remonte à 2015. Après six mois d'enquête, les policiers avaient interpellé quinze personnes soupçonnées d'être impliquées à divers niveaux dans un juteux trafic, cité Gabriel-Péri à Saint-Denis. Deux cents acheteurs d'héroïne pouvaient y défiler certains jours, avec un gramme vendu en moyenne 40 euros.

Au procès, la lecture des écoutes, dont les prévenus contestent l'interprétation faite par l'accusation, a permis de lever le voile sur le fonctionnement du trafic. Edifiantes sont celles qui concernent un prévenu de 29 ans, interpellé en Martinique
et soupçonné d'avoir fourni les trafiquants de Saint-Denis en cocaïne, en la faisant transporter depuis l'île par des "mules". Lui conteste vigoureusement, assurant n'avoir qu'un rôle d'"exécutant" au profit d'un ami d'enfance, qui "ne voulait pas parler au téléphone, pas apparaître. Il m'a demandé de parler pour lui", a raconté à la barre mardi le prévenu.

Des "mules" venues de Martinique

A ce "chef", il présente deux connaissances : "il m'a dit qu'il avait besoin de deux personnes, pour les faire voyager". Savait-il qu'elles allaient convoyer de la cocaïne ? "je l'ai supposé". Combien ont-elles été rémunérées ? Comment ont-elles transporté le produit ? "Je ne sais pas." Pourtant, selon les policiers, c'est bien lui qui demande à un autre prévenu, soupçonné d'être un des gérants du trafic, de "mettre à l'abri" un "truc" dont "trois personnes souhaitent se débarrasser". Pour les policiers, ces trois personnes sont les "mules", qui viennent d'arriver en métropole et sont logées dans un hôtel.

Ce gérant présumé, surnommé "Surveillant" - ce qu'il nie également - demande aussi au prévenu antillais un "nom pour envoyer l'argent". Après quoi, il demande à quelqu'un de venir à un comptoir Western Union. Il s'avèrera qu'un envoi de 4.000 euros à deux femmes en Martinique va être fait ce jour-là au nom du cousin de ce gérant présumé. Egalement poursuivi, le cousin reconnaît seulement avoir donné ses papiers d'identité à "un grand de la cité".

Sur une autre écoute, "Surveillant" s'entretient avec un autre prévenu, vivant entre les Pays-Bas et la France et jugé pour importation de cocaïne et d'héroïne. "Surveillant" estime que le produit n'est pas bon. Il réclame un "truc surpuissant" et demande un "100 pour tester". Lors d'un rendez-vous, que les deux hommes contestent, les enquêteurs entendent, via un téléphone qui n'est pas raccroché, une conversation portant sur de fortes sommes d'argent : 20.000 euros sont réclamés, une dette de 30.000 euros est mentionnée.

"Troc" et "communications codées"

Sur d'autres écoutes, un "troc" est évoqué. "Un procédé que le tribunal connaît bien", rappelle une des juges, expliquant qu'il s'agit d'un "échange entre du cannabis depuis la métropole et de la cocaïne qui vient de Martinique". Sur d'autres, c'est de "modou" dont il est question. Un "terme utilisé pour désigner des trafiquants de crack ou de cocaïne", rappelle le tribunal, qui relève aussi les "communications codées", la "volonté d'assez peu s'exprimer au téléphone" d'un autre prévenu, surnommé "Saucisse", qui est en fuite et ne s'est pas présenté à l'audience.

Autre caractéristique de l'organisation, selon les enquêteurs, l'ouverture depuis un taxiphone de Saint-Denis de nombreuses lignes téléphoniques au nom de deux personnes dont l'identité a été usurpée. 

En novembre 2015, au lendemain des arrestations, une fusillade à coups de kalachnikov et de pistolet-mitrailleur Uzi avait éclaté dans la cité. Les tirs ont été attribués à la "volonté des successeurs" des prévenus de reprendre la main, alors que des jeunes d'une cité voisine avaient déjà "installé leurs vendeurs", a expliqué à l'AFP une source proche de l'enquête.

Les réquisitions doivent avoir lieu mercredi, le procès s'achever jeudi.