Des allers-retours entre la chambre, le salon et la cuisine
L’autre couple est bien plus habitué des lieux. Yasmina Mayet et Ayoube Issop sont là depuis la mi-décembre. C’est leur troisième séjour à La Croisée. Eux sont originaires du Tampon. Et voilà donc plus de 6 mois qu’ils vivent ici, entre quatre murs, loin de leurs proches. À 61 ans, Ayoube a conclu une rupture conventionnelle de contrat pour pouvoir accompagner son épouse Yasmina à Paris, où elle a subi une énième opération de la colonne vertébrale. Résultat : le couple n’a plus aucune rentrée d’argent. À La Croisée, ils profitent donc d’une chambre et des repas en demi-pension. Le tout est pris en charge par la Sécurité sociale. “Heureusement que le logement et les repas sont pris en charge, sinon, on finirait sous un pont”, glisse Ayoube Issop.Sans soutien de son mari, d’un frère, ou d’une soeur, je ne vois pas le malade ici. Ce n’est pas La Croisée qui va nous soutenir moralement. Ce n’est qu’un lieu d’accueil. Heureusement que nous sommes entre nous pour nous soutenir.
- Ayoube Issop, accompagnant d'une patiente
Sur place, peu d’activités. “Mes journées, c’est chambre, cuisine, salon ; chambre, cuisine, salon”, témoigne le Réunionnais de 61 ans. Sa femme ne peut pas se déplacer facilement. Emprisonnée par des plaques en métal et autres broches, la vie de Yasmina n’est pour elle qu’épuisement. Les sorties sont très rares, presqu’inexistantes en plusieurs mois passés à Paris. “Sortir, cela implique des efforts, mais aussi des frais. Nous n’en avons pas les moyens”, reprend Ayoube.
Alors le couple a dû s’habituer à son lieu de vie. Faire avec, malgré ses imperfections. “On est mieux ici qu’à l’hôtel, notamment d’un point de vue financier, mais n’étant pas pour autant une maison médicalisée, tout le confort n’est pas toujours là”, concède-t-il. Pas de barre de relèvement dans la salle de bain, pas de lit médicalisé (le couple a dû en louer un à ses frais pour le confort de Yasmina), mais aussi pas de climatisation et des stores défectueux : les petits tracas du quotidien se sont transformés, au fil des mois, en vrais problèmes pour le couple, qui semble dépité. “J’aimerais que ça aille plus vite au niveau des rendez-vous et qu’on soit soutenus. C’est comme si on nous mettait dans un avion à La Réunion, on nous dépose ici à Paris, mais après nous ne sommes plus suivis”, s’indigne Yasmina Mayet.
Reportage à la rencontre des Réunionnais de La Croisée
Le coin des Polynésiens
À l’autre bout du salon, un petit groupe s’est installé dans les banquettes. Chapeau vissé sur la tête, une fleur de tiaré sur l’oreille, Leilah Didier vient de subir une opération du cerveau, afin de lui retirer une tumeur. Elle a le sourire : tous ses examens sont positifs, elle retrouvera la Polynésie et son île natale de Moorea dans quelques semaines. Arrivée seule à La Croisée, Leilah s’est pleinement intégrée au groupe de Polynésiens accueillis dans le lieu. “Avant mon opération, je n’avais pas besoin d’accompagnateur, mais après, j’en avais besoin. Mais je n’en avais pas. Alors les accompagnateurs des autres malades polynésiens se sont occupés de moi”, raconte Leilah Didier qui, une guitare à la main, entame délicatement un air tahitien très connu : Bora Bora.En Polynésie, on est très “famille”, et cela se ressent. On a tous besoin des autres, et on est là pour s’entraider, s’apporter du réconfort et du bonheur.
- Leilah Didier, malade en pension à La Croisée
Quelques moments de distraction
Ils sont près d’une quinzaine, et ils comptent sur la solidarité entre eux pour vivre leur hospitalisation ou leur convalescence dans les meilleures conditions possibles. Et la caisse de prévoyance sociale (CPS) de Polynésie les aide. En organisant des visites, des balades et des repas en-dehors de la maison d’accueil, l’organisme permet aux malades et à leurs familles de ne pas se couper du monde extérieur, de profiter d’activités de loisirs. Des moments pour oublier qui sont totalement pris en charge et qui n’affectent donc pas les moyens des pensionnaires.De quoi lutter contre la monotonie et l’ennui, pour les résidents, qui pour certains sont ici pour plusieurs mois. “Il y a des moments où on s’ennuie, il n’y a pas beaucoup de bruit, pas d’ambiance. Surtout pour moi qui suis un fêtard. Même si on est malades, il faut le ukulélé, la guitare”, s’enthousiasme Etau Hiotua, lui aussi originaire de Polynésie. En attendant une greffe de foie, l’homme confie être heureux d’avoir pu découvrir Paris. Une ville qu’il n’aurait sans doute jamais vu s’il n’était pas venu ici pour des raisons médicales. “La délégation polynésienne s’occupe de nous, on nous invite un peu partout. On a fait du bateau-mouche, visité la tour Eiffel, on est allés au zoo. C’est la première fois que je vois des rhinocéros et des lions avec mes propres yeux !”, s’émerveille-t-il.
Très peu de mélanges entre Ultramarins
Mais ces avantages ne sont pas dispensés à tous les résidents. Uniquement aux originaires de Polynésie, qui bénéficient du soutien de la CPS. Les autres n’y ont pas droit. Et les Réunionnais et Antillais en sont un peu envieux. Eux n’ont aucune activité, aucune sortie, pas même une invitation ou des repas à l’extérieur.Les Polynésiens sont conviviaux entre eux, et nous les Réunionnais, nous sommes conviviaux entre nous
- Yasmina Mayet, résidente de La Croisée
Ces jalousies sont sans doute à l’origine de la formation de groupes dans la maison d’accueil. Les Réunionnais sont avec les Réunionnais, les Polynésiens sont entre eux, et les Antillais font de même. L’effet des communautés est très présent, même en petit comité. Dans la cuisine, par exemple, pas de grandes tablées. Les groupes mangent les uns après les autres, ne se mélangent pas. Cependant, la petite taille de la pièce ne pourrait pas les accueillir en même temps. “Les moments où tout le monde est regroupé sont rares. A Noël, il y a eu une petite fête, on était tous là, c’était pas mal. Mais après c’est fini, plus rien. On se retrouve tout seul ici.”, observe Ayoube Issop. Une situation qui contraint encore plus le couple à la lassitude et l’isolement. “Cela fait six mois que je n’ai pas vu mon fils. Il me manque beaucoup, il a passé son bac tout seul là-bas. J’aimerais bien retourner chez moi, retrouver ma famille…”, s’émeut Yasmina Mayet.