En prison, l’enfer des "mules" femmes guyanaises

Vue d'une cour du Centre pénitentiaire de Fresnes
Dans un rapport intitulé "Femmes détenues : les oubliées", l’Observatoire international des prisons consacre un chapitre à "l’enfer carcéral des mules guyanaises", surreprésentées parmi les femmes emprisonnées pour transport de stupéfiants.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le phénomène des mules, les personnes qui transportent des stupéfiants, se révèle plus important chez les femmes que chez les hommes. Chez les condamnés, il s’élève à 23,7% contre 19% chez les hommes, selon la dernière revue de l’Observatoire international des prisons (OIP). Et la plupart des mules femmes sont originaires de l’Ouest guyanais.

« Au 1er janvier 2019, 192 des 366 femmes emprisonnées pour transport non autorisé de stupéfiants déclaraient séjourner hors du territoire métropolitain, soit 12,4% des condamnées détenues (contre 2,5% chez les hommes). Parmi elles, 131 résidaient en Guyane, au Suriname ou aux Antilles françaises », indique l’OIP, en se basant sur les chiffres de la Direction de l’administration pénitentiaire. L’Observatoire précise que ces données constituent des estimations basses, et qu’en réalité le nombre peut être plus important.
 

Misère sociale

Derrière un facile « appât du gain » qui peut constituer une motivation pour certaines, existe une réalité socio-économique beaucoup plus complexe. « Les personnes les plus susceptibles de passer à l’acte sont généralement dans une situation d’immense précarité », explique une sociologue dans l’étude. Très jeunes, souvent mères, les femmes mules préfèrent le risque de passer de la drogue plutôt que le discrédit de la prostitution, très présente dans l’Ouest de la Guyane.  

Les mules encourent généralement des peines allant de 18 mois à deux années d’emprisonnement, qui peuvent être plus longues en fonction des quantités de drogue transportées et d’une possible récidive. « À ces peines s’ajoutent de faramineuses amendes douanières basées sur une évaluation du prix de vente au gramme, et pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros. De quoi perpétuer une misère sociale pourtant à l’origine du passage à l’acte », écrit l’OIP.
  

Isolement familial

Concernant la détention, les mules sont majoritairement incarcérées à Fresnes et Fleury-Mérogis, dans des conditions le plus souvent indignes. « La maison d’arrêt des femmes de Fresnes est occupée à 60 % par des mules », déclare à l’OIP Pierre Jourdin, juge d’application des peines à Créteil et référent dans cet établissement, « rongé par un taux de surpopulation de 159% ». « Et pour accompagner les quelques 165 femmes qui y sont détenues (au 1er octobre 2019), les moyens sont manifestement dérisoires : deux conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), aucun traducteur (les échanges se déroulent par l’intermédiaire d’une codétenue, au détriment de la confidentialité), des modules de formation saturés, etc. » Sans compter l’isolement familial avec très peu d’orientations vers la Guyane.

L’OIP dénonce également de lourdes restrictions en termes d’accès aux aménagements de peine. « Il est ainsi extrêmement fréquent que les peines se déroulent sans aménagement, dans l’attente infernale et oisive de la levée d’écrou. Ce scénario est encore plus habituel pour les femmes étrangères – surinamaises, mais aussi brésiliennes, haïtiennes, etc. – dont le titre de séjour délivré en Guyane arrive à expiration pendant leur incarcération, et qui parviennent rarement à le renouveler en métropole. » Bref, des dédales judiciaires et administratifs qui souvent au final « imposent à nouveau la délinquance comme seule perspective concrète de survie. »

"L’enfer carcéral des 'mules' guyanaises", dans la revue "Dedans dehors" No. 106, par l’Observatoire international des prisons, 9,50 euros.