Le 1er avril 2015, le père d’Olivia, 14 ans, se présente au commissariat. En fouillant dans le téléphone de sa fille, il a découvert les messages inquiétants qu’elle échange avec son professeur de chant, Stéphane Métro. Crâne rasé, costume pied de poule ajusté, l’homme de 46 ans, né à Saint-Louis, à La Réunion, se tient droit comme un i. Il comparait devant le tribunal correctionnel de Bobigny, en région parisienne, pour "atteintes sexuelles sur mineur de moins 15 ans", avec la circonstance aggravante que ces faits ont été commis "par une personne abusant de ses fonctions".
Plus qu’un professeur de chant, Stéphane Métro est une véritable star dans le petit milieu des comédies musicales. ‘Les Misérables’, ‘Aladin’, ‘Roméo et Juliette’… Sur scène, il a fait des rôles de méchants sa spécialité. Plusieurs victimes se sont constituées partie civile, dont Gwendal Marimoutou, un jeune homme d’origine martiniquaise, qui a notamment interprété Simba dans la comédie musicale Le Roi Lion. Les histoires des victimes se ressemblent : des messages, puis des relations sexuelles, en cachette, sous prétexte de cours particuliers. Sans avoir été forcées physiquement, les victimes parlent d’emprise.
Stéphane Métro ne nie pas les faits qui lui sont reprochés. À la barre, il répète qu’il a "eu le temps de réfléchir à tout ça" et qu’il "regrette". Il dit avoir été "amoureux" des jeunes filles qui l’accusent. "J’étais amoureux. Elle avait 14 ans. Moi, je me figurais en avoir à peine autant", avance-t-il.
"J’étais un petit garçon !"
S’il dit qu’il "se sentait adolescent lui-même" en ce qui concerne les filles, l’argumentaire change pour expliquer sa relation avec Gwendal. "J’ai tout de suite vu qu’il avait beaucoup de talent, raconte Stéphane Métro. Il était au-dessus de la moyenne, il était au-dessus d’un élève. Pour moi, c'était un artiste, un égal, un collègue."
"Si j’étais un petit garçon !, s’indigne le jeune homme, qui s’agrippe à la barre de toutes ses forces. Je n’avais même pas encore mué". La mue, un moment charnière, vertigineux pour un chanteur. "Pendant deux ans je ne savais plus si j’allais pouvoir rechanter, je ne savais même plus si j’allais pouvoir en faire mon métier", explique-t-il. Il dit son adolescence difficile, celle d'un garçon qui préfère le chant au foot, le harcèlement de ses camarades, les relations difficiles avec son père et l’exutoire que représentait pour lui l’école de chant. Il dit comment, adolescent un peu perdu et mal dans sa peau, il s’est tourné vers Stéphane Métro, cet homme qu’il admire et qui le fascine.
Le jeune homme décrit des ébats brefs, directifs, brutaux. Gwendal n’a pas dit non : "Je n’ai pas verbalisé de ‘non’. À vrai dire, je ne savais pas trop quoi faire. Mais quelques jours après je lui ai dit que je me sentais mal, que je me sentais sale". "J’avais conscience du côté malsain de la relation, je ne voulais plus le voir, explique le jeune homme. Mais il me répondait que c’était ‘des instants de vie qu’il fallait vivre’". Ce n’est que des années plus tard, dans le bureau de la brigade pour mineurs, que Gwendal met des mots sur ce qui lui est arrivé.
Parler pour donner l’exemple
Pendant des années, Gwendal s'est tu de peur de briser sa carrière naissante dans un milieu où il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. "C’est un métier compliqué, c’était le métier de mes rêves. Je n’avais pas envie d’avoir cette étiquette, de n’être défini que par ça", raconte-t-il. Alors il se tait et demande à sa mère, qui finit par apprendre les faits, de se taire aussi.
Je voulais que mon exemple serve, même si j’étais plein de craintes pour ma carrière. Être impliqué dans une affaire de pédocriminalité, même en tant que victime, ce n’est jamais bon pour l’image.
Gwendal Marimoutou
Devenu animateur sur une chaîne pour enfant, Gwendal Marimoutou tient désormais à témoigner publiquement. "Je voulais montrer aux enfants qu’il ne faut pas avoir peur de parler. Je veux aussi envoyer un message aux familles, aux parents. Il faut écouter les enfants, ne pas les culpabiliser et les croire. Le problème ce n’est pas que les enfants ne parlent pas, c’est qu’on ne les écoute pas", estime-t-il, rappelant que la majorité des violences sexuelles ont lieu dans le cadre familial, un huis clôt où le tabou est encore plus fort qu’ailleurs.
On a l’image d’un pédocriminel qui serait un vieux monsieur pervers et dégoutant. Ce n’est pas du tout ça, c’est beaucoup plus sournois que ça.
Gwendal Marimoutou
Gwendal a pu se reconstruire. Et c’est aussi pour cela, qu’il parle. "La parole se libère, c’est super. Mais la plupart du temps, elle vient de personnes détruites, dit-il en souriant. Je veux apporter de la lumière : même dans une situation dramatique, on peut s’en sortir".
En contact avec des enfants malgré des antécédents
Devant ses juges, Stéphane Métro affirme que sa relation avec Gwendal était sa première expérience homosexuelle. Pourtant, il a déjà été condamné pour violences sexuelles sur des petits garçons. C’était en 1996. Mais le fichier des délinquants sexuels n’existait pas -il n’a été créé qu’en 2004- et il a continué à travailler avec des mineurs. À Disneyland, dans une école de comédie musicale, et même sur le tournage de The Voice Kid.
"Les choses évoluent. Je suis certain que dans les années 1990, une affaire comme ça n’aurait jamais été jugée", avance maître Bouaiche, l’avocat de plusieurs parties civiles, dont Gwendal Marimoutou. Parce qu’il est question d’emprise, que la notion est floue et que le regard de la société sur le consentement a changé.
Aujourd’hui, les atteintes sexuelles sur mineur de moins de 15 ans sont considérées comme des viols, "dans la mesure où on considère qu’un mineur de moins de 15 ans ne peut pas consentir", précise la présidente du tribunal. Mais la loi est récente, elle ne date que d’avril 2021, et ne peut donc pas s’appliquer à Stéphane Métro. La procureure a requis cinq ans de prison, dont deux fermes, contre le chanteur. Le tribunal rendra sa décision le 15 février prochain.