Qui était René Maran, le premier écrivain noir à recevoir le prix Goncourt en 1921 ?

L'écrivain- journaliste René Maran, né en Martinique, prix Goncourt 1921.
Quatre auteurs sont en lice pour obtenir le prestigieux prix Goncourt remis ce lundi 4 novembre 2019. Aucun ne déclenchera le scandale qu’a provoqué le Guyanais René Maran avec son roman "Batouala" en 1921. Retour sur cet événement qui a bouleversé la vie de René Maran.
 
Quand "Batouala" remporte le prix Goncourt en 1921, la nouvelle fait l’effet d’une bombe. Pour la première fois de son histoire, l’académie récompense un écrivain noir, René Maran. Qui était cet homme jusque-là inconnu des cercles littéraires parisiens ?
 

De Fort-de-France à Bordeaux

René Maran a grandi à Bordeaux. C’est là que lui est venue la passion de la poésie. Dès la 6e, raconte-t-il dans une émission radiophonique, il aimait écrire et s’amusait à interpréter à sa manière "La chanson de Roland".

Né le 5 novembre 1887 sur le bateau qui mène ses parents guyanais à Fort-de-France, il est envoyé très jeune à Bordeaux. Dès six ans, il est admis au pensionnat du lycée de Talence. Il ne voyait ses parents que tous les trois ans.

Au lycée Montaigne de Bordeaux où il poursuit ses études, il noue une amitié indéfectible avec son compatriote Félix Eboué. Grand sportif, il apprécie le rugby et l’escrime. En 1909, il commence à écrire dans une revue lilloise d'art et de littérature : le Beffroi.


L'administration coloniale

Son père haut-fonctionnaire le pousse dans les bras de l’administration coloniale. "Pour lui c’était une très belle administration, confiera plus tard René Maran, mais pas pour moi". En 1912, il devient administrateur d’Outre-mer en Oubangui-Chari.

C’est là qu’il commence l’écriture de "Batouala", du nom d’un grand chef du pays banda (République centrafricaine). Interviewé à la radio en 1962, René Maran explique sa démarche :

"Quand j’écris "Batouala", j’ai voulu montrer l’Afrique telle que je la voyais. On a contesté avec âpreté et méchanceté tout ce que j’avais dit et pour démontrer que je m’étais trompé, on a étudié ce que j’avais vu. On a été obligé de dire que je disais la vérité. "Batouala" montre l’Afrique du temps des Européens".


Regardez ci-dessous « 1921, le scandale du prix Goncourt noir » :

Scandale du Goncourt de 1921

On a du mal à imaginer le scandale qu’a pu provoquer ce prix Goncourt. Pour s’en faire une idée, il suffit de lire Le Petit parisien. Ce journal très conservateur entre les deux guerres, mais aussi très populaire, livre ainsi la nouvelle à ses lecteurs le 15 décembre 1921 :

M. René Maran, administrateur colonial, domicilié à fort Archambault, à deux journées de marche du lac Tchad, au milieu de noirs qui lui ressemblent comme des frères, a reçu hier le prix Goncourt (….) Depuis l’année 1903 , époque où fut décerné le premier prix Goncourt, c’est la première fois que les noirs jouent et gagnent » (…) sa qualité de nègre (…) a séduit les Dix de l’Académie Goncourt épris de couleur et d’étrangeté ».

Le Petit Parisien du 15 décembre 1921
Cet article d’un racisme consternant nous apprend que René Maran n’a pas déposé lui-même son roman à l’académie Goncourt. C’est un ami, Manoël Gahisto qui l’a fait pour lui. L'écrivain a ensuite abandonné sa carrière dans l'administration coloniale sans beaucoup de regrets.

L’œuvre de René Maran a inspiré de nombreux écrivains. Grâce au travail du Guyanais dénonçant les dérives du système colonial français, André Gide dans "Voyage au Congo" (1927) puis Albert Londres dans "Terres d’ébène" (1929) sont parvenus au même constat que le prix Goncourt.

André Maran est aussi considéré par Aimé Césaire, Léon Gontran-Damas et Léopold Sédar Senghor comme le précurseur du mouvement de la négritude. L’écrivain est mort à Paris le 9 mai 1960.