Confinement : trois rugbymen garants de la culture et des traditions du Pacifique face au Covid-19

Un trio qu' on a vu sur tous les terrains de France
Pagakalasio Tafili, Alikisio Fakate et Tapu Falatea ont déjà effectué une longue carrière. Rugbymen avertis, ces trois trentenaires ont tous fondé une famille avec, autour d’eux, une vraie communauté. Loin du Pacifique, ils tiennent pourtant à garder intactes leurs racines et leurs traditions.

Ces trois rugbymen d’expérience du Pacifique illustrent bien cet adage de circonstance. On parle souvent de la solitude, des personnes confinées chez elle, sans famille proche, sans voisins, ou sans amis. Ce n'est pas le cas pour eux.

Séance de gainage collectif chez Tapu

 

Vivons confinés, vivons heureux 

Les plus nombreux ? Chez Tapu Falatea à Lempaut dans le Tarn, ils sont onze à vivre sous le même toit. Et ça ne pose aucun problème au pilier du Castres Olympique d’avoir presque reconstitué une équipe de rugby à la maison. "On se sent bien, il y a mes frères et leurs copines, mes cousins, ma femme, mes enfants et moi. Nous les mecs des îles, on aime juste avoir notre matelas et être sous le même toit. Mentalement, j’aurais pété un plomb si j’avais dû rester tout seul. On s’est tous parlé et on a réparti le confinement entre ici et Montauban, avec ma maman avec un autre frère."

C’est plus sécurisant pour nous d’être là, confinés ensemble, en famille. On peut jouer au volley, ça rappelle le pays.


Pagakalasio Tafili et Alikisio Fakate sont avec leur femmes et leurs trois enfants. À Plougoumelen, Paga organise les séances sportives dans son garage avec du bon matériel grâce à son club de Vannes. Au cœur du Morbihan, une des premières zones touchées par le virus, il redouble d’attention pour son dernier garçon, Ezéquiel, qui est asthmatique. " Avec mon grand intégré au Pôle Espoir, on doit s’entretenir physiquement, comme les deux autres fistons suivent, on se retrouve tous les quatre dans mon garage après le petit-déjeuner. C’est un rituel bien établi. " 
Paga Tafili et ses trois fils en séance de musculation

A Salles, près du bassin d’Arcachon, Alikisio vit dans une maison au bord de la forêt, avec sa femme et ses trois filles de  5, 8 et 15 ans. Elles occupent cent pour cent du temps de l’ex-immense deuxième ligne de l’UBB. Désormais en Fédérale 2, il a plus de temps pour sa famille avec un rythme de sportif amateur. "Le confinement fait que je suis un peu devenu professeur des écoles. L’éducation est très importante et on a la transmission orale dans nos gènes. Mes filles me posent beaucoup de question et c’est intéressant d’échanger avec ses enfants. "
 

Continuer d’avoir la foi

Dans la culture du Pacifique, l’ancien est celui qu’on écoute. Les trois papas savent que leur rôle dans cette crise est primordial. Et la religion est très importante pour Wallisiens et Futuniens à travers le monde. Alikisio en parle avec ses filles, les deux plus petites surtout, Alaney (la foi en Irlandais) et Lionzey (symbole de la force du Lion). " Elles me posent beaucoup de questions par rapport à Dieu, nos croyances, je leur réponds que mes parents m’ont éduqué comme ça. Par rapport aux épreuves que l’on traverse, Dieu est toujours là. Parfois on l’oublie quand tout va bien."
 

Alors quand mes filles me demandent pourquoi Dieu a créé le virus, je me dois de les rassurer. Car elles trouvent qu’il n’est pas gentil… les enfants, ça réfléchit beaucoup.

 
La cathédrale Saint Pierre Chanel à Poi sur l’île de Futuna

Dans cette période de Carême, chez lui, Pagakalasio Tafili lit des passages de la Bible. "On fait un chapelet matin et soir, on prie pour les familles, nos amis, pour nous et le monde entier. Et quand on se connecte avec les miens par Skype, ma maman lance la prière ". Pour lui, la foi est importante, même si les jeunes l’ont mais la pratiquent moins.

"Ce n’est pas facile d’inculquer cela à mes fils, à table avant le repas, le plus petit oublie souvent la prière. Et je lui dis qu’il faut remercier le Seigneur, même quand on se réveille le matin et que la vie est là." Paga confie que son grand-père est de Poï, à Futuna, où se situe la cathédrale qui abrite les reliques de Saint Pierre Chanel, premier martyr de l’Océanie, devenu le Saint patron de l’Océanie.
 

Ne pas oublier ses racines

Chez Tapu Falatea il y la photo de son papa décédé il y a peu. Elle est posée devant un grand Tapa au mur, cette tapisserie faite par les mamans à la main, avec des écorces tressées et séchées. Un artisanat transmis par les grands-mères. Tous les Wallisiens et Futuniens en possèdent un chez eux.

En ces temps de confinement où ils sont nombreux chez lui, Tapu et ses proches se réunissent (le Tauasu) et suivent un rituel traditionnel. "Le soir, on fait le Cava avec mes frères, j’ai le Tanoa (récipient creux et rond) à la maison. C’est important pour parler, pour partager, ça nous rappelle notre île quand on fait le Tauasu et qu’on boit le Cava. On arrive à garder nos traditions dans ces moments difficiles, ça aide à apaiser les tensions aussi. "

Dans la culture du Pacifique, l’Ancien est celui qu’on écoute. Pagakalasio Tafili insiste là-dessus. "Avec le temps, les jeunes qui subissent des épreuves ou font des bêtises avec l’alcool vont prendre de la maturité. Je les conseille toujours, ils écoutent, on cherche le pourquoi de leurs actes. J’ai un ami fidjien marié qui courait à droite à gauche et, un jour, il s’est blessé gravement aux ligaments croisés. Il est revenu vers moi, l’Ancien, et m’a dit que cette blessure lui avait permis de se recentrer sur l’essentiel."
 

Depuis la nuit des temps, ça a toujours marché comme ça, les chefs parlent et tout le monde suit le plus fort. Chez nous, on respecte l’aîné.


Un futur et des interrogations

Alikisio Fakaté n’est plus professionnel, un choix de vie imposé par des pépins physiques décelés quand il était à l’Union Bordeaux Bègles. Pourtant, à bientôt 35 ans, il pourrait encore jouer au haut-niveau. En 2014, il a créé avec sa femme un groupe musical, Patience and the Pacific Islanders, dont il est le manager. Neuf musiciens et vingt-huit danseurs animent mariages, baptêmes, fêtes diverses dans la grande région sud-ouest. Il faut donc répéter car les spectacles vont recommencer dès la fin du confinement. "On s’envoie les partitions, les tonalités, les grilles et après on répète chacun chez soi car c’est impossible par Skype, car il y a toujours une latence et, dans la musique, ce n’est pas bon." 
Alikisio Fakaté en bas à droite, avec une partie du groupe Patience & the Pacific Islanders

Quant à Paga et Tapu les deux piliers de Vannes et de Castres, ils voient les saisons du Top 14 et de la Pro D2 en pointillées pour 2020. Alors ils font attention à leur ligne et ce n’est pas simple à vivre, pour Paga : "Quand tu ne t’entraînes pas dur, que tu n’as pas l’adrénaline, les contacts, ça manque. On essaie de manger moins, mais c’est dur quand on a une femme qui cuisine très bien." Comme pour Tapu : "À la maison, j’ai réduit la quantité du contenu de mes assiettes et je ne prends qu’un déjeuner à midi et le soir un thé ou rien. Tous les jours, je me pèse pour suivre mon poids."

Seule certitude dans la semaine à venir, les trois hommes confinés et tous leurs proches célébreront les fêtes de Pâques. Un moment important dans leur vie des Chrétiens.