Vous l’attendiez ce retour du Salon de l’Agriculture ?
On avait besoin de ça nous agriculteurs. On avait besoin d’exister. Sans le Salon de l’Agriculture, on n’a pas de perspective, de projection. Pour ma part en tant qu’agriculteur mahorais, je vise l’excellence. Je souhaite faire de l’agriculture mahoraise un domaine qui s’exporte avec un savoir-faire reconnu afin de nous ouvrir les marchés extérieurs notamment celui de l’Hexagone et du marché européen. Ce qu’on attend de ce salon, c’est qui nous amène l’élan qu’on a eu en 2020 quand on a démarré les trois premiers jours. L’intérêt des visiteurs, des professionnels pour la destination et par rapport aux produits de Mayotte, notre savoir-faire avait été très encourageant. Aujourd’hui le contexte économique est difficile pour l’ensemble des producteurs présents au salon mais on se doit de donner envie à ces mêmes visiteurs et professionnels de découvrir nos valeurs, de voir ce que Mayotte peu apporter à la France. Compte-tenu du contexte économique très compliqué, c’est à nous agriculteurs mahorais d’exister dans l’Hexagone donc d’adapter nos produits pour prendre des parts de marchés ici. J’ai changé mon modèle de telle sorte que maintenant je suis venu avec l’idée de venir aider l’agriculture traditionnelle de Mayotte mais avec des standards européens.
Qu’est-ce que le label Green Fish ?
J’ai monté le label puis par la suite une société du même nom en 2013. Avant de partir vers la production, je me suis interrogé sur le modèle agricole à développer. Cela m’a permis de définir où je veux aller et dans quel modèle agricole et avec quelles valeurs communiquer. Il fallait que je définisse cette marque-là. Mes valeurs sont les origines, le terroir, le patrimoine culturel, notre patrimoine culinaire qui nous renvoient à toute l’Histoire de la population de Mayotte et de toutes les communautés de la région notamment Madagascar, les Comores et l’Afrique. Je produis et transforme entre autres du riz, du poivre noir, du thé traditionnel mahorais, de la cannelle, de la confiture de fruit, de la pâte de piment ou encore des fruits secs.
Comment vous définissez vous ?
Je me considère comme un développeur. C’est-à-dire que j’essaie toujours de me projeter vers l’avenir et me remettre en question. S’interroger sur l’avenir et voir comment adapter ma vision au contexte environnemental, économique et social. Je suis dans une logique où je dois dépasser le seul cadre de Mayotte. Mon activité doit exister dans l’Hexagone, en Belgique, dans toute l’Europe et dans bien d’autres territoires encore.
Si j’avais une devise, je dirais : "On est un Peuple qui est destiné à vivre là où le destin nous emmène.Tant que nous Mahorais portons nos valeurs, gardons notre attachement à nos origines et valorisons notre terroir, on s’aura exporter notre Savoir-faire partout.
Hakim Nouridine
Comment êtes-vous « tombé » dans l’agriculture ?
L’agriculture, c’est comme la cuisine. C’est une passion. Soit on est passionné, on se met de dedans à fond. On découvre et on apprend les choses. Mais la réalité, c’est que dans la plupart des cas, les jeunes agriculteurs mahorais de ma génération ont baigné dedans et on avait un lien très fort avec les Anciens. En ce qui me concerne dès 7/8 ans j’allais à l’exploitation agricole, accompagné de mon père, ma mère ou mon grand-père. On allait cultiver le mellé [riz] même si ce n’était pas nécessaire parce que mes parents avaient un niveau de vie assez correct. Mais l’agriculture est depuis toujours une culture dans la famille. Il fallait aller au champ le week-end pour travailler, apprendre à planter, s’occuper de l’exploitation. C’est normal qu’à un moment donné je reprenne ce travail et ce patrimoine de famille.
Quel rôle ont eu les Anciens sur votre vocation ?
Le week-end si je n’allais pas dans les terres, mon père me renvoyait à Chiconi. J’allais y retrouver mon grand-père et je passais un peu le week-end avec lui et on discutait. On allait se promener au marché. Il me montrait la coopérative de vanille. Je voyais comment on préparait la vanille. Je voyais le poivre … J’étais dans cette culture de l’histoire du patrimoine agricole de Mayotte et de la transmission. C’est pourquoi j’ai eu cette prise de conscience assez tôt. Chose qu’on fait peu aujourd’hui avec notre jeunesse. Nos enfants de nos jours ne grandissent pas à côté de leurs grands-parents. Pris par les jeux vidéos, Internet, les réseaux sociaux ou autre chose, ils n’ont plus vraiment le temps de prendre le temps. On ne les pousse pas non plus vers la responsabilité, l’attachement de valeurs traditionnelles. Le lien entre les grands-parents et les enfants, les petits-enfants aujourd’hui est rompu.
Y a-t-il encore une relève, une transmission pour l’agriculture ?
Je pense qu’il y a toutefois encore aujourd’hui beaucoup d’engouement, d’intérêt par rapport à l’agriculture. Certes, ce n’est pas l’agriculture qu’ont connu nos parents. C’est ça qu’il faut savoir. Le modèle agricole qui a été véhiculé par nos aînés il y a plusieurs décennies n’intéresse plus les jeunes aujourd’hui. Ce qui intéresse les jeunes c’est une visibilité par rapport à l’avenir. C’est-à-dire des produits valorisés. Des produits transformés qui leur permettent d’être honorés, de se faire une place autour d’eux, dans la société. Avec tout le respect que j’ai pour nos anciens. Personne ne veut ressembler à ces pauvres agriculteurs qui n’arrivaient pas à payer toutes leurs factures et qui travaillaient vraiment pour avoir seulement de quoi avoir à manger. Mon grand-père a fait partie de cette génération sauf que lui avait déjà compris qu’il fallait transformer les produits et que c’est dans les filières de transformation qu’on pouvait gagner de l’argent. Il s’appelait Ali Halidi et c’était l’un des fondateurs de la première Coopérative agricole de Mayotte. C’est un peu la personne qui m’a inspirée, un peu mon mentor. Paix à son âme, il n’est plus de ce monde.
Pourquoi portez-vous toujours ce chapeau australien ?
Ce chapeau en cuir, je l’ai acheté il y a 22 ans. C’est un jacaru, un chapeau australien qui symbolise le cow-boy [garçon vacher]. Les éleveurs australiens portent ce couvre-chef. J’aime l’idée de l’aventure. Je le porte depuis le jour où j’ai décidé de changer de vie, de quitter le monde professionnel du luxe, de la mode et de l’automobile pour l’aventure, pour aller vers des valeurs essentielles entre autres celles que je retrouve dans mon île de Mayotte. Je me suis posé la question d’où je viens, quelle est ma communauté ? Avec l’idée de réaliser quelque chose autour de moi qui permettrait à la population d’avoir une fierté, une dignité. La dignité passe par cette agriculture qui véhicule nos valeurs traditionnelles.
Un dernier mot
J’ai énormément d’espoir par rapport à ce Salon d’agriculture et je le répète Mayotte ne peut pas exister seulement sur les seules frontières de Mamoudzou mais doit exporter son Savoir-Faire dans la région océan Indien, en Afrique de l’Est, dans l’Hexagone et dans toute l’Europe. Ce serait un bon début.